Il fallait bien mettre un peu de baume au cœur des militaires. La grande muette, qui vient de vivre une séquence douloureuse avec l’annonce des annulations de crédits de 850 millions d’euros pour 2017, à l’origine de la démission deux semaines plus tard du très respecté chef d’état-major des armées Pierre de Villiers, va bénéficier d’un dégel de 1,2 milliard de crédits sur le 1,9 milliard bloqué en 2017. C’est Florence Parly, la ministre des Armées, qui l’annonce dans le Journal du Dimanche,espérant par là montrer aux militaires et à l’opinion publique toute sa détermination à sauvegarder au maximum ses intérêts budgétairesrécemment malmenés. «Je suis en discussion pour que des crédits gelés en 2017 soient dégelés. C’est déjà le cas depuis jeudi pour 1,2 milliard d’euros qui nous seront restitués par anticipation dès ce mois-ci», a-t-elle expliqué dans l’hebdomadaire dominical. Ces dégels, qui interviennent normalement en fin d’année, vont donner plus de latitude au ministère et à la Direction générale de l’armement (DGA) dans la gestion de leur trésorerie et le paiement des factures, explique-t-on de source gouvernementale.
«Ils ne constituent pas un cadeau fait aux armées mais le strict respect de la loi de finances initiale», met toutefois en garde le député LR François Cornut-Gentille, rapporteur spécial des crédits de la défense à la commission des finances. Cette procédure permet en effet d’utiliser des crédits «mis en réserve» ou gelés en début d’année puis débloqués ou dégelés ensuite afin que des dépenses déjà engagées puissent être acquittées.
Florence Parly a par ailleurs réaffirmé que les annulations de crédits de 850 millions d’euros décidées pour cette année 2017 et à l’origine de la crise entre l’Elysée et le chef d’état-major des armées n’auraient «pas d’impact sur le fonctionnement des armées en 2017, notamment pour les militaires en opération».
Sabir typique
Lors de son audition par les députés, le général de Villiers avait expliqué qu’il jugeait qu’à cause de nombreux programmes reportés depuis plusieurs années, faute de crédits, le nombre de véhicules blindés sur le terrain était insuffisant pour assurer la sécurité de militaires opérant sur des théâtres d’opération parfois grands comme l’Europe. «Il faut voir le nombre de blindés qui doivent être rapatriés en France pour être détruits ou réparés», avait abondé dans son sens l’ex-députée socialiste du Finistère Patricia Adam, ancienne présidente de la commission de la défense nationale et des forces armées au Palais-Bourbon.
Si Bercy n’avait pas précisé l’affectation de ces annulations de crédit transmis à l’Assemblée nationale, il était néanmoins écrit que le gel de 850 millions ne se ferait pas sur la sécurité mais en décalant «quelques commandes sur du gros matériel, par exemple». Un argumentaire repris par Florence Parly, elle-même ancienne haut fonctionnaire du budget et ancienne secrétaire d’Etat au Budget au début des années 2000 dont elle connaît parfaitement la mécanique. «C’est donc sur les grands programmes d’équipement que les ajustements seront faits par lissage», a-t-elle souligné au JDD dans un sabir typique du vocabulaire de son ancienne administration.
Le général de Villiers avait été vertement recadré par le président Emmanuel Macron à la veille du 14 juillet pour avoir critiqué ces coupes budgétaires devant des députés. Lors d’une audition à huis clos, il avait expliqué, d’après une phrase sortie dans la presse : «Je ne me laisserai pas baiser comme cela.» Après avoir multiplié ces derniers temps ses mises en garde publiques contre une politique budgétaire qui ne permet plus aux armées d’assurer pleinement ses missions dans un contexte géopolitique marqué par l’aggravation des menaces terroristes, ce dernier avait fini par démissionner en début de semaine dernière. Il avait jugé «ne plus être en mesure d’assurer la pérennité du modèle d’armée»qu’il estime approprié pour «la protection des Français».
Saut de géant
Le Président, et chef des armées selon la constitution, a répliqué que ce n’était «pas le rôle» du chef d’état-major de défendre le budget des armées, mais celui de la ministre des Armées. Lors d’un déplacement jeudi dernier sur la base aérienne 125 d’Istres, l’un des maillons de la dissuasion nucléaire, il avait tenté d’apaiser le malaise des troupes en renouvelant son audacieuse promesse de «porter le budget de la défense à 2 % du PIB en 2025». En 2018, a-t-il promis, «le budget des armées sera porté à 34,2 milliards d’euros», soit une rallonge de 1,8 milliard d’euros. Mais pour porter le budget à 2 % du PIB à l’horizon 2025, c’est un saut de géant d’environ 50 milliards d’euros qu’il va falloir accomplir et que la plupart des spécialistes jugent inatteignable au vu des contraintes budgétaires européennes de la France, et avec les règles de calcul actuelles du déficit public.
Dans son interview au JDD, Florence Parly, qui sera reçue mardi à l’Elysée, reprend à son compte la ligne fixée par Emmanuel Macron. En tant que nouveau chef d’état-major, le général François Lecointre est le «responsable opérationnel» des armées et à ce titre «aura toute latitude pour venir s’exprimer devant les commissions» parlementaires, précise-t-elle. «Mais sur les sujets budgétaires, ajoute-t-elle, c’est au ministre de s’exprimer devant les élus, car ce n’est pas la commission qui prépare le budget mais le gouvernement, comme le prévoit la Constitution.» Malgré toute la diplomatie déployée par la ministre pour tenter de calmer la crise, il n’est pas sûr qu’un dégel de 1,2 milliard opportunément annoncé et qui aurait de toute façon eu lieu suffise pour réchauffer des relations pour le moins refroidies ces dernières semaines entre les militaires et le pouvoir politique.