Il n’existe pas en politique, dit-on, de faux problèmes qu’une absence de solutions ne puisse résoudre. La preuve par les crèches municipales de Noël, semble-t-il. Devant la poussée de la sphère médiatique ou, pour être plus précis, de celle d’une minorité d’excités dont les élucubrations sont relayées par cette même sphère médiatique, la chasse au Christ enfant est ouverte. Sorte de nouveau massacre des innocents, virtuel et en 3D. Hérode serait-il fatigué ? C’est bien simple, il s’érode.
Avec le légendaire courage politique qu’on leur connaît, les notables de l’Association des maires de France ont donc transformé leur capitulation en rase campagne devant le laïcisme de combat en faisant assaut de laïcisme. Simple question de vocabulaire et de point de vue ; il suffisait d’y penser. Bref, les crèches de Noël sont dorénavant interdites sur le territoire de la République. On notera que ce sont généralement les mêmes qui pleurent sur d’autres territoires perdus par cette même République. Passons…
La victoire serait donc totale. Totale ? Totale à l’exception d’un dernier petit village persistant à résister à l’envahisseur de l’intérieur : Ajaccio, en Corse. Il est vrai que nos amis corses ne seraient plus tout à fait corses s’ils négligeaient de se comporter en Corses. Ils bombent donc le torse. Et la nouvelle fait d’ailleurs l’effet d’une bombe, d’une nouvelle nuit bleue avant celle de la Nativité.
Relayées par Corse-Matin, les explications de la population et de l’édile de cette ville ayant vu naître un autre célèbre trublion, un certain Napoléon Bonaparte, demeurent des plus vagues. Sauf qu’il en ressort globalement un truc du genre voulant « qu’ici, on a toujours fait comme ça ». Il est vrai que, de la sorte expliqué, tout le monde comprend déjà mieux. Et le même quotidien de justifier l’affaire, sur un mode des plus normands : « La crèche de la mairie d’Ajaccio va continuer à faire de la résistance puisqu’elle a l’assentiment d’une très grande majorité de la population. » Est-ce totalement étonnant dans une île où on traduit « un cristianu » par un « être humain » ? Voilà qui n’appelle guère la réplique, si ce n’est en lâchers de cochons sauvages et de châtaignes directement cueillies en pleine poire.
Allez savoir pourquoi, mais il est à craindre qu’une tournée des Femen ne susciterait pas, là-bas, l’engouement des masses, surtout celle des parvis d’églises, pas les plus manchots en maniement des masses ; masses d’armes, il va de soi. D’ailleurs, les Corses sont-ils véritablement des « républicains », au sens où l’entend Caroline Fourest ? Rien n’est moins sûr, quand on sait que, dans la galaxie nationaliste locale, on a toujours préféré chanter le « Salve Regina » que la « Marseillaise ».
N’allez pas en conclure, pour autant, que les Corses puissent avoir quelque chose contre les étrangers, même quand les étrangers en question ne sont pas corses : ils n’ont rien contre les femmes voilées, par exemple, à condition que ce soient les veuves et la Vierge Marie. Mais, comme aurait pu rappeler Eugène Deloncle, le fondateur du Comité secret d’action révolutionnaire, et corse par sa mère, Anna Ange Marie Rossetti (vérole de moine, déjà rien que le prénom…) : « Chez nous, on a toujours eu un faible pour la Cagoule. » On ne saurait mieux dire.
Ces choses rappelées, les Corses sont des gens charmants. Sauf, peut-être, si un pinsut du Continent s’avisait, dans le berceau de l’Empereur, de déranger le petit Jésus dans le sien, sans oublier ses parents, les bergers, l’âne, le bœuf, et ces trois illustres visiteurs venus de si loin afin de découvrir les charmes de l’île de Beauté. Ce serait dommage pour lui de finir à l’étal d’une charcuterie. Sans compter que, pire que de donner un mauvais goût au saucisson, ça pourrait également agacer les plus sourcilleux de nos compatriotes et nuire au petit commerce de proximité.
PS : ce doit être une spécificité îlienne, mais en Martinique comme en Guadeloupe, la question des crèches municipales ne se pose guère, sachant que ces dernières sont partout installées dans les villes et les campagnes. Comme on dit à Pointe-à-Pitre pour honorer le Sauveur, « Jézi fèt Lapwent » et « Jwayé Nwèl » ! Encore d’aimables compatriotes à ne pas emmerder plus que de raison…