Prisons : « On est en train d’aller vers la catastrophe »
VIDÉOS. Surpopulation carcérale, conditions de travail déplorables, délabrement des établissements, etc. Les raisons de la grogne des surveillants sont multiples.
PAR MARC LEPLONGEON
« Première sommation. Je vous demande de partir et de libérer l’accès », lâche sans trop de conviction un policier, ce lundi matin, à l’entrée du centre pénitentiaire d’Alençon-Condé-sur-Sarthe. En face, les surveillants, attroupés dans une fumée noire et âcre dégagée par des pneus en flamme, répliquent en entonnant La Marseillaise. Avant de lancer leur slogan : « La police, avec nous ! La police, avec nous ! » Guère enclins à sonner la charge contre des collègues des forces de l’ordre, et soucieux de ne pas attiser les colères alors que les négociations s’annoncent compliquées à la Chancellerie, les policiers renonceront finalement à intervenir…
Filmée par FO Pénitentiaire et diffusée sur Facebook, la scène se répète depuis plusieurs jours un peu partout en France. Les surveillants se font parfois déloger au gaz lacrymogène, comme à Fresnes la semaine dernière, ou dans un esprit de camaraderie, comme lundi matin à Angoulême. Depuis le début du mouvement de contestation des surveillants pénitentiaires, les affrontements entre forces de l’ordre restent heureusement rares.
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Lundi 22 janvier, les syndicats évoquent 140 établissements bloqués. Sans minimiser le phénomène, l’administration pénitentiaire, elle, parlait à la mi-journée de 10 établissements pénitentiaires complètement bloqués et 13 refus de prise de service. Les gardiens expliquent avoir « rendu les clés ». De nombreux rassemblements ont lieu devant des dizaines d’autres prisons, sans toutefois porter trop sérieusement atteinte à la gestion carcérale, ajoute l’administration.
Une colère sourde
La situation ne peut pas perdurer. Des policiers sont mobilisés pour remplacer les grévistes dans plusieurs établissements en France, malgré l’avis contraire des syndicats, dont Unité SGP-Police FO, qui demande au gouvernement de prendre des « mesures immédiates ». Dans plusieurs prisons bloquées ce lundi, ce sont les équipes de nuit qui enchaînent sur une nouvelle journée de travail, faisant craindre des incidents. La gestion des détentions s’en retrouve affectée.
« On supprime des parloirs, des promenades, des points-phones, confie une source proche du dossier. Pour le moment, on a juste quelques refus de réintégrer. Mais on surveille tout cela de très près… » Le mouvement de contestation des surveillants a éclaté après une série d’agressions physiques, début janvier. La colère, sourde, a grondé d’en bas, et a rapidement dépassé les représentants syndicaux, rappelant la grogne des policiers en septembre dernier.
4 000 violences physiques sur gardien chaque année
Très médiatisées, ces agressions ne sont toutefois pas nouvelles : 4 000 violences physiques sur gardien sont recensées chaque année ! « Nous ne notons pas de hausse particulière des agressions ces dix derniers jours », affirme l’administration. Mais le contexte – l’incarcération d’islamistes radicalisés ou de retour de Syrie, une population pénale qui ne cesse d’augmenter, des prisons dégradées et insalubres, des effectifs insuffisants, etc. – rend ces agressions d’autant plus insupportables.
Alors que la mobilisation était à la base tournée vers la question sécuritaire, les revendications concernent aujourd’hui les rémunérations et les statuts des gardiens de prison, une profession dangereuse et mal payée. « Je dis toujours que la vie n’a pas de prix : ce n’est pas en donnant cinquante euros par mois en plus qu’on va régler le problème des agressions, explique Stéphane Barraut, secrétaire général adjoint de l’Ufap-Unsa. Mais après, il y a un principe de réalité. Si nous avons d’énormes difficultés à recruter, c’est parce que le métier et les paies ne sont pas attractifs. »
Des arrêts maladie à la chaîne
La profession, ingrate, souffre également d’un important turn-over dû à des arrêts maladie à la chaîne. De nombreux jeunes surveillants doivent passer des années en région parisienne dans les établissements les plus durs et les plus surpeuplés, avant de pouvoir prétendre à une mutation dans de petites maisons d’arrêt, qui offrent de bien meilleures conditions de travail. Certains profitent aussi d’une passerelle et bifurquent, dès que l’occasion se présente, vers d’autres corps de métier au sein des forces de l’ordre.
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Les surveillants en ont assez de fonctionner en « mode dégradé » avec, par exemple, un seul surveillant pour tout un étage. Aussi les propositions – parfois vagues – de la garde des Sceaux qui portent sur l’aspect sécuritaire (quartiers spécifiques pour détenus violents, renforcement des équipements de sécurité) sont-elles apparues insuffisantes. Tout comme les 1 100 créations de postes annoncées sur quatre ans. « C’est une bonne base de travail, concède Stéphane Barraut. Le problème est que ce n’est pas très lisible. C’est du moyen terme ou du long terme. Les personnels veulent du concret. »
Des prisons pour détenus violents ?
Plutôt que des quartiers pour détenus radicalisés et/ou violents, l’Ufap-Unsa réclame ainsi des établissements à part entière, spécialisés et adaptés, en dehors des prisons traditionnelles. Une revendication qui pourrait s’intégrer à la promesse du gouvernement de créer 15 000 places de prison supplémentaires, mais qui ne verrait toutefois pas le jour avant une dizaine d’années. Les syndicats devaient également demander lundi à la ministre de la Justice, Nicole Belloubet, une revalorisation indemnitaire, qui pourrait passer par une augmentation de la prime de risque et par le paiement effectif des heures supplémentaires.
FO Pénitentiaire réclame quant à lui une revalorisation statutaire, qui ferait passer les gardiens de la catégorie C à la catégorie B. Dans tous les cas, poursuit Stéphane Barraut, une solution doit être trouvée rapidement : « On n’a pas connu un tel mouvement depuis 1992. On est en train d’aller à la catastrophe. La police qui déloge des surveillants, c’est intenable pour le gouvernement. » Matignon procédera-t-il à des arbitrages financiers avant le « plan pénitentiaire global » promis par Emmanuel Macron pour la fin février ? Le chef de l’État a annoncé une réflexion pour un recours massif à des alternatives à la prison, comme le placement sous surveillance électronique (PSE) ou les travaux d’intérêt général (TIG). Une décroissance carcérale que Christiane Taubira avait cherché à atteindre en son temps, sans jamais y parvenir.
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