L’islam sunnite n’ayant pas de hiérarchie formelle, la plupart des comportements font l’objet d’interrogations de la part des fidèles. Interrogations d’autant plus légitimes que ces fidèles ont pris l’habitude d’une pratique extrêmement normée et formalisée : on ne compte plus les hadiths qui font référence aux jours pendant lesquels la prière compte plus (celles que l’on fait pendant la « nuit du destin », qui marque la première « révélation » de Mahomet, comptent ainsi mille fois plus que les autres), aux « unités de prière » ou aux paroles que l’on est censé prononcer dans telle ou telle circonstance, aux gestes ou aux pratiques permis ou interdits…
À ce titre, Christian de Moliner a pris le temps de s’immerger dans les différents forums musulmans de langue française et d’en retirer les principaux enseignements pratiques pour chaque occasion de la vie quotidienne. Il s’est, en outre, attaché à prendre en compte l’avis des musulmans chiites dans certains cas, y compris les plus surprenants.
Ce qui ressort de cette remarquable compilation relève de la sensation d’asphyxie. En effet, avec beaucoup d’objectivité, l’auteur synthétise remarquablement versets du Coran, hadiths, commentaires, avis d’imams et conseils de fidèles pieux, mais ce qui se dégage de toutes ces sources est invariable : une foison d’avis tranchés (parfois très contradictoires) et d’anathèmes, la primauté des apparences à sauver, la prise en compte des pires abominations comme autant de situations plausibles, et une succession de « cas particuliers » qui permettent au pratiquant habile de s’affranchir de certaines règles.
Quelques exemples, spectaculaires mais que je n’ai volontairement pas pris parmi les plus absurdes : en cas de zoophilie, infraction qui fait l’objet d’une abondante littérature (ce que comprendront, par exemple, ceux qui ont servi en Afghanistan), les chiites donnent quatre chances au coupable de se repentir avant de le tuer. En cas de lapidation d’une femme adultère, la victime est sauvée si elle parvient à sortir du cercle formé par ses agresseurs (une sorte de balle aux prisonniers un peu rustique, en somme) : « raison pour laquelle », précise froidement Moliner, « en Iran on coule ses pieds dans le ciment et en Somalie on l’enterre à moitié ».
Ailleurs, la précision technique ou l’imagination des savants (oulémas) prêtent davantage à sourire, heureusement : le vernis à ongles est ainsi permis aux croyantes s’il est poreux, car les ongles doivent entrer en contact avec l’eau des ablutions rituelles. Pas facile à trouver, j’imagine, ni à expliquer chez Sephora. La limite d’alcool est fixée, par consensus, à 5 % environ (l’ange Gabriel avait inventé l’éthylotest, apparemment) ; on peut consommer les oiseaux qui volent mais pas ceux qui planent. Les exemples de ce niveau sont légion.
Il faut lire avec attention le remarquable petit livre de Christian de Moliner, observateur attentif et méticuleux : on a l’impression d’évoluer dans une administration à la française, touffue et absurde, mais qui serait mise en coupe réglée par des pervers, des imbéciles, des obsédés et des control freaks. Un asile psychiatrique auquel on confierait la gestion d’une CAF.
Heureusement que ce n’est pas ça, l’islam !