Afrique: quand pouvoir et religion font, ou pas, bon ménage
Pierre Nkurunziza s’est proclamé « Guide suprême éternel » du Burundi le 10 mars dernier alors que la répression de l’opposition vaut à son pays d’être qualifié d’« abattoir » par le Haut commissaire des Nations unies aux droits de l’homme. De son côté, le Rwanda a fermé 700 églises pentecôtistes le 1er mars, tandis que la République démocratique du Congo (RDC) est accusée de réprimer depuis décembre les manifestants jusque dans les églises. En Afrique, les rapports du pouvoir avec la religion, surveillés de près par l’opinion et les médias dans les pays musulmans, s’avèrent non moins fusionnels ou conflictuels, selon les cas, côté chrétien.
Le président du Burundi, Pierre Nkurunziza, se maintient au pouvoir en trouvant désormais des justifications religieuses. Il s’est fait proclamer « Guide suprême éternel » le 10 mars dernier par son parti, qui a dans la foulée décrété que le jeudi sera désormais consacré à « la prière, à l’Éternel et au jeûne » pour ses cadres et élus.
Une façon, pour un chef d’État born again, adepte des églises évangéliques qui prospèrent en Afrique, d’imposer sa propre pratique. Et de faire irradier l’idée de sa permanence au pouvoir, alors qu’il envisage de modifier la Constitution pour faire sauter le verrou de la limitation des mandats présidentiels.
Cette annonce n’a pas manqué d’enflammer les réseaux sociaux. Depuis la crise provoquée en avril 2015 par le troisième mandat non-constitutionnel de Pierre Nkurunziza, le pays compte pas moins de 3 000 morts, un millier de disparus, 6 000 prisonniers et 428 500 réfugiés dans les pays voisins, selon l’opposition en exil. Chaque semaine, l’Etat enlève, torture et tue tout ce que le pays compte d’opposants, hutus comme tutsis.
Ce qui a valu au Burundi d’être qualifié fin février « d’abattoir d’êtres humains » par Zeid Ra’ad Al Hussein, haut commissaire des Nations unies aux droits de l’homme, au même titre que la Syrie, le Yémen et la République démocratique du Congo (RDC) voisine.
« Délire religieux » de Simone Gbagbo
Outre le fait que Denise Nkurunziza, la Première dame, soit aussi révérende et pasteur évangélique, deux termes mentionnés dans son titre officiel, la situation rappelle l’influence qu’a pu avoir Simone Gbagbo sur son mari en Côte d’Ivoire. Le refus du président Gbagbo de quitter le pouvoir, lors de la crise postélectorale de 2010 avait pris une dimension religieuse sur la fin : « Dieu gère, purifie, chasse et détruit. Il arrache les purulences ». En meeting à Abidjan, à la mi-janvier 2011, Simone Gbagbo mêlait ainsi références religieuses et discours de haine. Et cela dans un contexte où les deux camps manipulaient la violence politique.
Le couple Gbagbo, lui aussi séduit par les églises évangéliques, a passé ses derniers jours au pouvoir en prière, en avril 2011, cloîtré dans la résidence présidentielle de Cocody. Comme l’expliquait alors Venance Konan, journaliste et actuel directeur général du journal gouvernemental Fraternité Matin, « Simone Gbagbo est complètement partie dans ce délire religieux depuis 1996. Cette année-là, elle a miraculeusement réchappé d’un accident de la route et elle a rencontré le pasteur Moïse Koré, qui lui a fait découvrir la foi évangélique. Elle est souvent apparue à la télévision en transe mystique et elle organisait tous les mercredis à l’Assemblée, où elle est députée, un rassemblement de prières ».
Est-ce pour mieux contrôler ce type de dérapage que le gouvernement du Rwanda a ordonné le 1er mars la fermeture de 714 lieux de cultes, pour la plupart des églises évangéliques et pentecôtistes ? Alors que certains pasteurs font fortune sur le désespoir de leurs ouailles mises à contribution, le Rwanda a fermé ces bâtiments pour non-respect des normes de « sécurité et de salubrité ». Le Parlement rwandais va adopter une loi qui durcit les conditions d’autorisation de nouvelles églises et va contraindre les prédicateurs à suivre des cours de théologie avant d’exercer.
« Garde-fou » contre les dérives du pouvoir
Au Cameroun, cent églises pentecôtistes ont aussi été fermées en 2013 pour mettre un terme à des dérives jugées « criminelles » par le pouvoir, certains pasteurs ayant enlevé des enfants ou recommandé à leurs fidèles de ne pas se faire soigner par des médecins. Des pasteurs, de leur côté, ont dénoncé une répression due à leurs critiques des autorités durant les prêches, notamment à Bamenda, fief de la contestation au Cameroun anglophone.
En Afrique du Sud, l’église évangélique de Rhema, qui promet elle aussi des richesses matérielles tout en demandant des contributions financières à ses fidèles, s’est vue courtiser par l’ancien président Jacob Zuma. L’explosion des églises évangéliques ou « africaines », comme la Zion Christian Church (ZCC), forte de 5 millions d’adeptes en Afrique du Sud, s’explique par le syncrétisme entre tradition et culte chrétien. Elle n’a pas entamé le rôle de conscience morale que joue l’Église anglicane depuis la lutte contre l’apartheid.
Un engagement qui avait valu à l’archevêque Desmond Tutu le Prix Nobel de la paix en 1984, bien avant qu’il ne devienne l’un des critiques les plus virulents de Jacob Zuma, dont il avait accusé en 2011 le gouvernement d’être « pire que l’apartheid ».
En dehors de l’exception centrafricaine, où la guerre civile a pris une dimension religieuse en 2013, entre milices musulmanes Seleka et groupes d’autodéfense anti-balaka chrétiennes, certains pays voient plutôt leurs Églises jouer un rôle politique de « garde-fou », comme en République démocratique du Congo (RDC). L’Église catholique y assume plus qu’un rôle de conscience morale, puisque la Conférence épiscopale du Congo (Cenco) avait contraint fin 2016 le pouvoir de Joseph Kabila à négocier un accord en vue d’une élection qu’il se refuse toujours à organiser dans les meilleurs délais, jouant une dangereuse course contre la montre.
Aujourd’hui, les prélats congolais sont dans le collimateur du pouvoir. Des manifestants qui appelaient au respect de la Constitution et au départ de Joseph Kabila se sont fait tuer par les forces de l’ordre le 31 décembre et le 25 février dernier, à la sortie de certaines églises catholiques de la capitale Kinshasa. Quant aux huit responsables d’un Comité laïc de coordination proche de l’Église catholique, ils sont quant à eux visés par des mandats d’arrêt et vivent dans la clandestinité.
Ailleurs en Afrique, des présidents prennent leur distance avec la religion, mais parfois pour imposer d’autres pratiques spirituelles. Ainsi, Joaquim Chissano, du temps où il présidait le Mozambique, avait demandé aux fonctionnaires, jusqu’aux soldats, de faire 20 minutes de méditation transcendantale matin et soir. Et cela sur le conseil du Maharishi Mahesh Yogi, ancien gourou des Beatles.