Le cas Radouane Lakdim, un casse-tête emblématique pour les services de renseignements
L’opposition de droite et d’extrême-droite est montée au créneau pour critiquer le suivi du terroriste de l’Aude. « Détecté » depuis 2013, Radouane Lakdim incarne le défi auquel sont confrontés les services de renseignements dans la surveillance des personnes radicalisées.
L’opposition de droite et d’extrême-droite est montée au créneau pour critiquer l’échec du suivi de ce terroriste. Mais le passage à l’acte de Radouane Lakdim, l’auteur des attaques terroristes de vendredi, dans l’Aude, témoigne, une fois encore, du casse-tête et de l’immense défi auxquels sont confrontés les services de renseignements.
« Détecté » en 2013
Petit délinquant radicalisé de Carcassonne (Aude), Radouane Lakdim avait été « détecté » en 2013 en raison de contacts « avec un individu défavorablement connu et condamné pour des faits d’association de malfaiteurs en vue de la préparation d’actes de terrorisme commis en 2008 », selon une source policière.
Plusieurs informations parvenues en mai 2014 font aussi état d’une « radicalisation latente » et de velléités de départ en Irak ou en Syrie. Il est alors fiché « S » pour « sûreté de l’État », ce qui permet de suivre ses déplacements et connaître ses fréquentations. Puis inscrit depuis le mois de novembre 2015 au Fichier des signalements pour la prévention et la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT), « en raison de ses liens avec la mouvance salafiste locale ». Ces investigations ne révèlent aucun signe de radicalisation violente.
En 2016, Ladkim fait un mois de prison pour « port d’arme prohibé ».
Et, en septembre 2017, le contenu de son compte Facebook, attestant un intérêt pour l’idéologie djihadiste, attire de nouveau l’attention de la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI). Mais ces investigations, une nouvelle fois, ne révèlent rien de probant. « La DGSI continue de considérer que Lakdim ne fait pas partie du « haut du spectre » », rapporte le quotidien Libération.
Un entretien prévu mi-mars
Toujours suivi des services de renseignements, Radouane Lakdim reçoit, mi-mars, une convocation à un « entretien d’évaluation ». Rien ne permet, alors, de procéder à une perquisition à son domicile. Le but de l’entretien est de décider d’une éventuelle clôture de l’enquête administrative menée à son encontre depuis mai 2013, indique une source policière. Lakdim devait prendre contact avec les services du ministère de l’Intérieur pour fixer une date de rendez-vous…
Mais, a rappelé lundi soir le procureur de la République de Paris, François Molins, il n’existait pas de signe précurseur de passage à l’acte terroriste.
Par ailleurs, a-t-il précisé, « suivi » ne signifie pas nécessairement une surveillance physique ou technique (écoutes, vérifications des factures détaillées de téléphonie…) D’autant que nombre de mesures de surveillance technique sont mises en échec par les messageries cryptées qui passent par Internet.
Des cellules dans chaque département
Le cas Lakdim était régulièrement abordé par le groupe d’évaluation départemental (GED) de l’Aude, rapporte Le Figaro. Dans chaque département, ces GED rassemblent préfet, membres de son cabinet, services de renseignements, de police, de gendarmerie, parquet et administration pénitentiaire. Ils se réunissent toutes les semaines ou deux semaines pour passer en revue les individus récemment signalés. Et savoir quel suivi particulier adopter. « Le cas Lakdim est le cauchemar des services, rapporte une source policière citée par Le Figaro. Celui d’un individu isolé qui monte en pression de façon discrète. Il faut alors réussir à déceler le moment où il se lance dans des actes préparatoires, où sa psychologie évolue. Et c’est très difficile ».
Revenir sur le terrain ?
Certains spécialistes, comme Jean-Charles Brisard, président du Centre d’analyse du terrorisme, plaide pour que les services de renseignements « sortent de la culture du fichier » et reviennent davantage sur le terrain. « La vision de terrain, de surveillance opérationnelle, a été délaissée progressivement », a-t-il confié au Parisien. « Aujourd’hui, on est aveugle, on travaille sur des fichiers, on travaille en dents de scie », déplore-t-il. « Il faut infiltrer, aller au plus près, se réapproprier le terrain ».
Aucun dispositif de surveillance et de renseignements ne sera jamais parfait. On sait notamment que depuis 2012, 60 % des assaillants étaient inconnus des services, des fichiers.
Au total, près de 20 000 personnes sont fichées au FSPRT. Une fois entrée dans le fichier, la personne peut être fichée pendant cinq ans. Aujourd’hui, 11 000 fiches sont « prises en compte ». 3 557 sont « en veille », c’est-à-dire sans suivi actif. Et 4 604 sont « clôturées », les services estimant qu’ils ne nécessitent plus de surveillance, mais demeurent dans le FSPRT du fait des signes de radicalisation constatés.
Toujours inscrit au fichier FSPRT, Radouane Lakdim avait cependant été « débranché, faute d’activité, rapporte Le Figaro, citant un magistrat de tribunal correctionnel habitué des dossiers de terrorisme. Avec deux mentions au casier judiciaire et sans activité palpable, il n’y avait aucune raison pour les services d’enquête de se polariser sur lui alors que les renseignements sont par ailleurs débordés ».
Mais assurer une surveillance constante des profils les plus inquiétants semble impossible. « Il faut entre 10 et 30 policiers pour surveiller un seul suspect, selon qu’il utilise deux, trois ou quatre portables », rapporte encore Jean-Charles Brisard.