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« L’insécurité est difficilement objectivable »

Posted On 16 Mai 2018
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par Stéphane Menu TOUTE L’ACTUALITÉ

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Le lancement de la Police de sécurité du quotidien (PSQ) repose l’éternelle question des missions de la police, à la recherche permanente d’un équilibre entre prévention et répression. Pour Mathieu Zagrodzki, la PSQ reste pour l’heure une coquille vide.

Mathieu Zagrodzki est chercheur associé au Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales. Il est l’auteur du livre « Que fait la police ? » (Éditions de l’Aube).

 

Avec la création de la Police de sécurité du quotidien (PSQ) revient le débat sur l’équilibre entre la police d’intervention et la police médiatrice. Ces dernières années, a-t-on abandonné la deuxième au profit de la première ?

Pendant la décennie 2000-2010, c’est la police d’intervention qui a dominé, à savoir celle qui intervient quand une difficulté se pose. Il y a quelque chose comme une demi-douzaine d’unités de ce type dans chaque circonscription en France, dont les plus connues sont les BAC. Ces unités sont plus nombreuses dans les grandes villes, comme à Paris. Les patrouilles pédestres, classiques, ont pratiquement disparu du paysage. Avant, dans tel secteur ou tel arrondissement, une brigade se déplaçait régulièrement, à la rencontre des habitants. Mais cette pratique a été jugée peu efficace, prenant trop de temps. Nicolas Sarkozy, quand il a été nommé ministre de l’Intérieur en 2002, y a mis un terme.

 

« Les patrouilles pédestres, classiques, ont pratiquement disparu du paysage »

 

A-t-on évalué les bienfaits ou non de la police de proximité ?

Non, comme souvent en France, les évaluations ne font pas partie de la culture publique. La droite, à l’époque, gagne l’élection présidentielle sur le thème de l’explosion de l’insécurité, dont la police de proximité aurait été responsable, dans les discours de droite s’entend. Lorsqu’il devient ministre de l’Intérieur, Nicolas Sarkozy doit mettre ses paroles en actes et supprime la police de proximité, accusant la gauche de laxisme en la matière. On pourrait se dire d’une bonne police de proximitéqu’elle doit marcher sur ses deux jambes : prévenir et sévir. Mais elle était très consommatrice en effectifs. L’ouverture des commissariats dans les quartiers relevait de cette logique d’une emprise territoriale. Mais il fallait mobiliser a minima deux officiers pour enregistrer les dépôts de plainte et faire l’accueil. Il a donc fallu retirer des policiers de la voie publique. On retrouve là un des grands questionnements de la stratégie policière : que doit-on prioriser ? Un travail de terrain en continu ? Un travail de renseignement, d’enquête, d’intervention ?

 

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Une police plus accessible, plus proche des citoyens,
serait-elle moins efficace dans le traitement des délits ?

Il fallait à l’époque, pour la droite, rassurer la population. D’où cette insistance sur les chiffres, avec tout ce que cela a entraîné comme débats sur leur fiabilité. La mise en place de l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP) visait justement, à côté des chiffres de l’activité policière, à mesurer, à travers des enquêtes de victimisation, le ressenti de la population vis-à-vis de l’insécurité. Cette double approche permet à l’évidence de disposer d’une meilleure visibilité de la manière dont la délinquance, dans toutes ses formes, imprègne le quotidien des Français. Et donc d’adapter la réponse des forces publiques aux enjeux liés à la sécurité. L’insécurité est difficilement objectivable. On n’en parle pas comme d’une usine qui fabrique tant de voitures à l’année…

 

« L’opération Sentinelle passe et les délits se commettent avant ou après »

 

L’émergence de la menace terroriste change-t-elle la donne dans l’organisation territoriale de la sécurité ?

Oui, sans doute, dans la perception quotidienne des citoyens… Mais, comme face à la vidéosurveillance, les délinquants, sans lien aucun avec une quelconque motivation terroriste, ne sont pas idiots, l’opération Sentinelle passe et les délits se commettent avant ou après. Comme face à une caméra, où l’on a démontré que la délinquance avait tendance à se déplacer hors du champ des caméras. Un fonds national a permis d’équiper beaucoup de villes en caméras et les maires, sur un plan politique, ont profité de l’aubaine pour répondre aux attentes de leur population. De plus, la gestion de ces images est confiée à la police municipale, dont les effectifs en forte augmentation n’atteignent « que » 22 000 agents, loin des 200 000 policiers et gendarmesrépartis sur le territoire (sans compter les ADS et autres personnels techniques, scientifiques et administratifs).

 

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Que pensez-vous de la PSQ ?

Je pense que le gouvernement a voulu éviter qu’on lui fasse le reproche de la réforme ultra-centralisée et autoritaire, qui était l’un des travers de la police de proximité. Pour l’heure, nous sommes un peu dans le flou, car elle n’est pas encore véritablement en action, sans compter qu’elle sera déclinée différemment selon les territoires. J’étais présent, avec d’autres collègues chercheurs, au lancement officiel de la PSQ par Gérard Collomb. Cela ressemblait dans une large mesure à une opération de séduction auprès des forces de l’ordre, avec augmentation du nombre de gilets pare-balles, mise à disposition de tablettes numériques et travaux de rénovation dans les commissariats. C’est bien mais ça n’est pas ça qui va rapprocher la police de la population.

 

TÉMOIGNAGE

« Les collectivités ont un problème d’encadrement »

« Nous enregistrons chaque année entre 300 et 400 recrutements dans les communes environ… Nous nous heurtons à un paradoxe : beaucoup de villes, après le renouvellement de 2014, ont souhaité renforcer voire créer leur police municipale mais le statut de policier municipal est resté le même, malgré le contexte de renforcement de la menace terroriste. Prenons les conseils locaux ou intercommunaux de prévention de la délinquance. Il n’y a pas de formation particulière pour un attaché territorial. La personne qui a décidé de s’y investir le fait au nom de ses propres convictions. Sans parler du statut du policier municipal qui, s’il a connu des évolutions positives, reste cependant peu attractif. Aujourd’hui, un Bac + 5 de 25 ans qui veut devenir directeur d’une police municipale découvrira avec stupéfaction la courbe évolutive de son salaire, peu attrayante. Or, dans ce domaine, il est capital que les collectivités se dotent d’une capacité d’expertise via un personnel encadrant de qualité. Nous n’avons pas de difficulté à recruter des catégories C mais du personnel encadrant. Depuis Charlie et surtout, pour les territoriaux, Nice, les policiers municipaux doivent être mieux formés. Mais, même avec la meilleure volonté du monde, le CNFPT a du mal à suivre, notamment sur la problématique de l’armement. Sur les 22 000 policiers municipaux en France, 60 % sont armés. On arrive à 90 % si l’on intègre le taser, le flash-ball et autre tonfa. C’est un défi pas simple à relever de maintenir, dans ce domaine, un bon niveau de formation. »

Cédric Renaud, président de l’Association nationale des cadres territoriaux de la sécurité (ANCTS) (1)

 

Note

(01)Cédric Renaud est par ailleurs directeur de la police municipale et de la sécurité civile de Saint-Étienne. – Retourner au texte

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