« Tout ça pour ça ! » : tel était le titre de la dernière tribune de Mylène Troszczynski dans Boulevard Voltaire à propos de Mai 68, cinquante ans après. L’apparition à la télévision, le week-end dernier, de Maryam Pougetoux, présidente de l’UNEF à l’université de Paris IV, recouverte d’un voile islamique, mériterait que l’on reprenne à l’envi ce « Tout ça pour ça ! ».
Dans le sillage de Mai 68, des « mouvements de libération » de l’homme et de la femme, on allait tout valdinguer pour arriver « dans l’île nue, sans un bagage, les pieds nus », comme le chantera Michel Delpech en 1969 dans sa chanson « Wight is Wight ». On connaît la rengaine : il était interdit d’interdire. Cinquante ans après, les « anciens combattants de Mai 68 » ont pris du ventre, Jacques Sauvageot, le leader de l’UNEF à l’époque, est mort l’an passé et la relève a fait évoluer le concept. Désormais, il n’est pas interdit d’interdire mais il est interdit d’interdire les interdits. Vous suivez ? Car qu’est-ce que le voile islamique, sinon l’interdit pour la femme de se promener « en cheveux », comme on disait à l’époque où Bardot portait des robes en vichy ?
Donc, la demoiselle Pougetoux, venue défendre devant les caméras les positions de son syndicat contre la réforme Parcoursup – ce qui est son droit le plus strict –, s’est affichée en fichu islamique lui encadrant complètement le visage. Beaucoup se sont évidemment émus sur les réseaux sociaux de ce curieux mélange des genres : militantisme syndical et, d’une certaine manière, militantisme religieux, car si le fait d’apparaître voilée n’est pas ostentatoire, on ne sait plus ce qui l’est. Communiqué de l’UNEF pour justifier leur petite camarade : « Notre syndicat défend les principes de laïcité et de féminisme, et c’est au nom de ceux-ci que nous défendons le droit des étudiantes de faire leur propre choix, dont porter le voile au sein du service public de l’enseignement supérieur. » On ne se pose pas la question de la représentativité de cette représentante syndicale. S’achève alors le premier acte du psychodrame qu’on appellera « Provocation ».
Deuxième acte du psychodrame : « Victimisation ». Les réseaux sociaux s’émeuvent. Laurent Bouvet, cofondateur du Printemps républicain, enseignant à l’université de Versailles-Saint-Quentin, ironise en déclarant, sur Facebook : « À l’UNEF, la convergence des luttes est bien entamée. » L’affaire part alors en live, comme on dit de nos jours. Immédiatement, le Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF) lance ses janissaires sur l’affaire : « Dans son immense courage, M. Laurent Bouvet a lancé une campagne de cyber-harcèlement contre la présidente de l’UNEF. Un déferlement de haine raciste, sexiste et islamophobe, à l’image du Printemps républicain… » Rokhaya Diallo, jamais en reste, s’empresse de dénoncer « la chasse aux musulman.e.s (présumé.e.s) », dans un bel exercice d’écriture inclusive.
Troisième acte : « Fragmentation ». Fragmentation à gauche, où l’on est pris dans ses contradictions. Benoît Hamon, ancien député de Trappes, met la balle au centre en se contentant de rappeler que la Constitution permet de porter le voile et permet aussi de critiquer le port du voile. Manuel Valls tweete son soutien à Bouvet après que ce dernier a publié une tribune sur le Figaro Vox. Julien Dray, qui fut un responsable de l’UNEF au tout début des années 80, n’y va pas par quatre chemins : « La direction du syndicat qui accepte cette jeune dame comme dirigeante souille tout notre combat dans les universités. »
Maintenant, entre nous, la fragmentation de la gauche, on s’en moque un peu. Celle de la France nous inquiète un peu plus. Le syndicalisme étudiant est-il noyauté par les Frères musulmans, comme l’affirme l’essayiste Céline Pina, elle aussi ancienne du PS ? Je n’en sais rien mais, comme dirait Marlène Schiappa, ça m’interpelle ! En effet, la secrétaire d’État à l’Égalité femmes-hommes a tweeté, ce 16 mai : « Ça m’interpelle, non pas parce que c’est une étudiante qui porte le voile (c’est son droit le plus strict) mais ça m’interpelle que l’UNEF ait choisi comme porte-parole une personne qui a des signes manifestes de promotion de l’islam politique. »
Effectivement, ça interpelle au niveau du vécu ensemble.