Polices intercommunales : un déploiement des forces en catimini
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Malgré des assouplissements législatifs récents, les polices municipales se détournent encore pour la plupart de toute mutualisation au niveau intercommunal. Ce n’est pourtant ce n’est pas le mode opératoire qui semble faire blocage mais davantage la volonté des maires de conserver entièrement la compétence.
Article initialement publié dans le Courrier des maires d’avril 2017 et actualisé au 27 juin 2018
Quinze ans déjà que les polices municipales intercommunales sont nées… sur le papier ! Sur le terrain, la réalité est tout autre. En 2013, une enquête de l’Assemblée des communautés de France en dénombrait quinze. Cinq ans plus tard et une seconde édition de son enquête menée en partenariat avec la Gazette des communes, on en compte seulement…22, du moins après réponses de 113 communautés et métropoles au sondage de l’association d’élus.
Malgré les incitations répétées de l’Etat, elles n’ont jamais vraiment décollé, bien qu’on enregistre une légère amorce depuis trois ans. Le ministère de l’Intérieur avait bien relevé un timide développement, recensant, au 31 décembre 2015, 40 dispositifs intercommunaux de police municipale déployés dans 20 départements, principalement dans le Gard, l’Ain, le Val-d’Oise et l’Essonne. « Le chiffre est à comparer aux 4 000 villes disposant d’une police municipale. Cette croissance est donc très modeste. On pourrait l’imaginer plus importante au regard de ce que l’intercommunalité peut offrir aux petites communes souffrant de moyens et d’expertise suffisante pour créer une police municipale », s’étonne Philip Alloncle, préfet et délégué aux coopérations de sécurité.
La gestion ou les territoires. Deux formes de polices intercommunales cohabitent aujourd’hui. D’un côté, celles dont les agents recrutés par les EPCI – qui gèrent leurs carrières et achètent leur équipement – ont signé une clause de mise à disposition. De l’autre, celles « mutualisées » ou « pluricommunales » dont les effectifs, communs à plusieurs villes, restent dédiés à leur territoire d’origine. « Les maires restent les donneurs d’ordre et fixent les missions. L’intercommunalité permet une mise en commun des outils de gestion et des modes opératoires », explique Luc Strehaiano, maire de Soisy-sous-Montmorency et président de la CA de la vallée de Montmorency (Cavam) dont la police intercommunale, créée en 2005 et forte de 68 agents, est la plus importante de France.
Une aubaine financière. Mais pourquoi les maires sont-ils si peu enclins à y recourir ? Nombre d’entre eux expliquent que leur pouvoir de police ne se partage pas et que la mutualisation serait une étape vers un transfert de ce dernier aux présidents d’intercommunalité.
Reste que des villes ont été séduites par cette coopération intercommunale, y voyant un intérêt opérationnel et un moyen d’assurer un niveau de sécurité équivalent sur les territoires concernés. « Nous avons aussi harmonisé les pratiques et les formations, et uniformisé nos matériels de radiocommunication, par exemple. Le partenariat avec les forces de l’ordre s’est renforcé », précise Luc Strehaiano.
Mutualisation rime avec économies. C’est le cas à Ennery, en Moselle, où depuis 2008 les policiers municipaux ont signé une convention de mise à disposition et interviennent dans huit communes de 300 à 2 000 habitants. « Cela permet à chacune de disposer d’agents sans en payer le prix fort. Notre présence est répartie entre elles avec un service rendu identique », indique Pascal Hoelter, chef de la police d’Ennery « pluricommunale ».
À la Cavam, les commandes d’achats groupés de véhicules et de tenues ont généré une économie de plus de 20 %. « Après 12 ans de mutualisation, aucun des 18 maires n’imagine revenir en arrière », conclut Luc Strehaiano.
Le déverrouillage législatif
Dernière loi en date encourageant la création de polices intercommunales, celle du 28 février 2017 relative à la sécurité publique a supprimé le seuil permettant aux villes d’avoir des agents en commun. Auparavant réservée à celles de moins de 20 000 habitants formant un ensemble de moins de 50 000 hab. d’un seul tenant, elle s’applique désormais aux ensembles qui peuvent atteindre 80 000 hab. De son côté, la loi Savary de mars 2016, relative à la sécurité dans les transports, a permis une autre évolution majeure. Les policiers municipaux affectés à des missions de maintien de l’ordre au sein des transports publics peuvent, dans les transports traversant des villes qui forment un ensemble d’un tenant, constater certaines infractions énumérées dans le Code des transports.
« Compléter l’action de la gendarmerie et non remplacer les forces de l’ordre »
Regniowez • 398 hab. • Ardennes
Face au sentiment d’insécurité croissant de la population, plusieurs maires de la communauté de communes Ardennes Thiérache ont exprimé le souhait de créer une police municipale intercommunale à l’été 2016. Février 2017 : celle-ci voit le jour, grâce à l’adhésion d’un tiers des 37 communes. « Elle permet aux maires d’intervenir sur le terrain avec plus de sérénité et de rassurer la population », explique le maire de Regniowez, Jean-Yves Lagneaux, par ailleurs ancien colonel de gendarmerie.
Chaque maire ses objectifs. Selon lui, les maires encore réticents ont le sentiment que l’Etat transfère ses responsabilités en matière de sécurité vers les EPCI, estimant de surcroît qu’il ne leur revient pas de financer une de ses missions régaliennes. « Nous pensons à l’inverse que notre police municipale intercommunale complète l’action de la gendarmerie, et non qu’elle remplace les forces de l’ordre. »
Deux policiers municipaux, bientôt armés, sillonnent le terrain. La CC gère le recrutement, l’administratif et l’achat des équipements. « D’autres recrutements ne sont pas à exclure. Nous monterons en puissance progressivement, mais prudemment car cela a un coût. » Pour cette première année, l’investissement s’est élevé à 60 000 euros. Le budget de fonctionnement sera de 30 000 euros, répartis entre les communes en fonction du temps de présence des agents dans chacune d’elles. Concrètement, chaque maire définit tous les mois avec les agents les objectifs et les lieux d’intervention prioritaires, puis dressent le bilan des actions.
Contact. Mairie de Regniowez : 03 24 54 14 06
« La solution pour de petites communes au budget réduit »
Coubron • 4 751 hab. • Seine-Saint-Denis
Décembre 2014. Coubron et la commune voisine de Vaujours inaugurent leur police municipale intercommunale. Dans ce secteur rural de la Seine-Saint-Denis, « la délinquance augmentait, et la distance avec le commissariat de police le plus proche, situé à Livry-Gargan, ne permettait pas d’interventions rapides », indique le maire, Ludovic Toro. Les deux élus ont voulu remédier à « cette forme de désengagement de l’Etat » en s’associant. « Pour de petites communes au budget réduit comme les nôtres, c’était la seule solution pour rétablir une présence policière et protéger la population, ce qui est notre devoir de maire. »
Communes alliées. Pour un budget de 650 000 euros (en 2016) pour les deux villes, 12 policiers municipaux et une unité cynophile dotée d’un chien spécialisé dans la recherche de stupéfiants interviennent du lundi au samedi de 7 heures à 21 h 30. Trois agents sont dédiés à Coubron. « 260 000 euros sont à notre charge. Pour nous, le premier avantage est financier », précise-t-il. L’intérêt est en outre opérationnel car Vaujours est doté d’un centre de supervision urbain. « Nous sommes en train d’y relier nos caméras de vidéoprotection. Cela n’a été possible que parce que nos communes sont alliées. » La PM intercommunale s’appuie aussi sur « une confiance et une excellente coopération avec la police, sans laquelle il n’y a pas d’efficacité. Plus elle est structurée comme c’est le cas aujourd’hui, mieux elle peut travailler en synergie avec la police. L’intercommunalité a rendu cela effectif », conclut le maire.
Contact. Mairie de Coubron : 01 43 88 81 74
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