La place Beauvau jette-t-elle son dévolu sur les polices municipales ?
Le ministère de l’Intérieur pourrait avoir sous-estimé le chantier de la police de sécurité du quotidien. Mettre la main sur la police municipale serait alors une solution « économe ». C’est en tout cas la crainte de l’Association nationale des cadres territoriaux de sécurité…
Depuis son arrivée à la place Beauvau, Gérard Collomb n’a de cesse de dire qu’il souhaite renforcer la place des polices municipales dans ce qu’il appelle le « continuum de la sécurité ». La mise en œuvre de la police de sécurité du quotidien (PSQ) dans les jours qui viennent en sera l’occasion. Mais un échange de plusieurs courriers entre le ministère et l’Association nationale des cadres territoriaux de la sécurité (ANCTS) avive les craintes de cette dernière. Le ministère « souhaite-t-il une absence de hiérarchie propre au sein de la police municipale afin de pouvoir en disposer librement en tant que supplétif des forces nationales ? », s’interroge l’ANCTS, dans un communiqué du 24 août.
Tout remonte à la question de la députée de la Moselle Isabelle Rauch qui s’inquiétait, au mois d’avril, du manque de perspectives dans les carrières des directeurs de police municipale. Aujourd’hui, ces derniers n’ont que deux grades, le dernier culminant à l’indice 810, soit un niveau équivalent au premier grade d’attaché territorial. Un manque d’attractivité qui fait que de nombreuses collectivités ont aujourd’hui du mal à recruter des directeurs pour leur police et qu’à diplôme équivalent, les jeunes préfèrent se tourner vers d’autres concours offrant de meilleures conditions. Et ce, alors même que l’évolution des métiers et l’élargissement des compétences rendent cette fonction de direction plus nécessaire que jamais.
Fonctionnement à deux têtes
Dans sa réponse, plutôt que d’envisager une revalorisation des conditions comme le réclament les syndicats, le ministre avait indiqué que les directeurs pouvaient très bien être détachés dans le cadre d’emplois des attachés territoriaux ou sur un « emploi fonctionnel » de directeur général adjoint (DGA) en charge, notamment, de la sécurité. Voilà qui appelait quelques éclaircissements… Dans une réponse plus circonstanciée à l’ANCTS, en date du 17 août, le ministère allait plus loin, distinguant clairement entre la « direction opérationnelle » des agents de police municipale et la « direction administrative », relevant « du directeur général des services, d’un de ses adjoints voire éventuellement d’un cadre administratif ». Mais « si un directeur de police municipale est détaché dans un emploi fonctionnel de directeur général adjoint, il perd (…) ses prérogatives liées à sa qualité d’agent de police municipale », indiquait-il. D’où la nécessité de recruter un nouveau directeur opérationnel, avec un fonctionnement à deux têtes.
L’ANCTS s’interroge de la pertinence de ce choix, « à l’heure où l’État demande aux collectivités un certain nombre d’économies ». Dans les collectivités qui n’auraient pas les moyens d’un nouveau recrutement, la direction opérationnelle serait alors exercée de facto par les forces de police ou de gendarmerie, avec lesquelles la police municipale est amenée à coopérer de plus en plus étroitement. C’est en tout cas ce que craint l’association. Celle-ci se demande ainsi si, derrière cette volonté de ne pas doter la police municipale d’une « voie hiérarchique complète », ne se cache pas l’idée de « conserver une mainmise opérationnelle » sur les quelque 21.000 agents qui la constitue.
« La force de proximité, c’est la police municipale »
Ces interrogations interviennent au moment où se font attendre les conclusions de la mission des députés Jean-Michel Fauvergue et Alice Thourot sur le « continuum de la sécurité » entre forces de police et de gendarmerie, polices municipales et agents de sécurité privée. Un rapport reporté déjà à trois reprises. Dans un autre rapport sur « le malaise des forces de sécurité » de juin 2018, le sénateur François Grosdidier propose, lui, d’élargir les prérogatives des policiers municipaux (en leur conférant notamment un statut d’agent de police judiciaire) et de mettre en place « de véritables synergies » entre les agents sur le terrain.
Avec la mise en œuvre de la PSQ dans les 30 « quartiers de reconquête républicaine » (dont 15 d’ici le mois de septembre), « les coûts en termes de masse salariale ont été sous-évalués [le gouvernement a prévu d’embaucher 10.000 agents en cinq ans, ndlr], on est en train de chercher des effectifs », analyse Cédric Renaud, le président de l’ANCTS. « Or aujourd’hui, la force de proximité, c’est la police municipale », fait-il remarquer auprès de Localtis.
L’ANCTS rappelle que cette séparation entre fonctions administratives et opérationnelles n’existe pas, par exemple, chez les policiers et les gendarmes, ni chez les cadres de sapeurs-pompiers qui « assument la totalité des responsabilités » et disposent de perspectives de carrières intéressantes allant jusqu’au grade de contrôleur général. L’ANCTS dit attendre un « signal fort » montrant que les polices municipales et leurs cadres sont des « partenaires de l’État », comme l’assène le ministre, et « non de simples subalternes dépourvus de toute autonomie ». Elle réclame en outre une vraie catégorie A des postes de direction, comme pour les sapeurs-pompiers.