Islam : « Le rapport El Karoui relève d’une gestion indigéniste »
Fateh Kimouche, fondateur du site Al Kanz, réagit vivement au rapport présenté par Hakim El Karoui, qui propose une réforme radicale de l’islam de France.
Propos recueillis par Clément Pétreault
« Ingérence », « gestion indigéniste », décision « de conquérant »… Pour Fateh Kimouche, fondateur du site Al Kanz et prometteur du halal, le rapport présenté ce matin par Hakim El Karoui est une erreur. Al Kanz est un site controversé de la « muslimsphère », habitué des prises de position virulentes sur les réseaux sociaux et qualifié dans le rapport de l’institut Montaigne comme une « plateforme prépondérante dans la récupération des actualités considérées comme « islamophobes » ». Interview, sans pincettes, d’un activiste de l’islam.
Le Point : Ce rapport n’a pas l’air de vous plaire…
Fateh Kimouche : Deux points me gênent franchement. Tout d’abord, je ne suis pas d’accord avec cette idée qui sous-tend que, puisque la France a été attaquée par des terroristes, il faudrait gérer l’islam de France… Quel est le lien ? Le second élément qui m’interpelle, c’est l’ingérence. Il y a peut-être des questions à résoudre, mais on peut se débrouiller seul ! Je suis très prudent avec l’usage des termes comme « néo-colonialiste », mais là, pour le coup, on est véritablement dans une gestion indigéniste de l’islam. Emmanuel Macron s’inscrit dans la tradition française qui prévalait quand la France avait encore ses colonies. Quand Hakim El Karoui propose un « imam de France », il veut nommer, comme sous la IIIe République, un Cadi, religieux-fonctionnaire de la France… Mais au nom de quoi ? Dieu ne nous a pas donné de pape, pourquoi vouloir nous en mettre un ? Et si tant est qu’on en ait besoin, nous pourrions le faire nous-mêmes, on n’a pas besoin de l’État.
C’est donc la démarche même que vous rejetez ?
J’ai un petit côté libéral, le jacobinisme et l’assistanat me déplaisent beaucoup. Je suis pour que l’individu se gère lui-même… Néanmoins, je veux bien mettre de l’eau dans mon vin et considérer que l’État peut nous donner un petit coup de pouce. Je ne suis pas allergique à cette idée, j’en veux pour preuve que lorsque Bernard Cazeneuve m’a invité à discuter, j’étais d’accord, même si je n’ai pas pu y aller pour raisons de santé. Je ne suis pas hostile au dialogue. Je suis critique à l’égard des responsables du CFCM, mais l’idée de m’asseoir à leurs côtés ne me gêne pas. Gardons les mêmes personnes, mais changeons le logiciel. Si Macron dit « je vous donne un coup de main », d’accord, à condition que ce soit nous, les musulmans, qui décidions.
Le rapport présenté ce matin propose de structurer l’islam pour éviter les dérives, c’est pour vous un problème ?
Hakim El Karoui dit « islamiste » pour ne pas dire « musulman », comme Alain Soral dit « sioniste » pour ne pas dire « juif ». Regardez de près le discours de ces gens qui prétendent, comme Laurent Bouvet, être des républicains. Pour eux, le spectre de l’islamisme va de Mennelà Daech, en gros, du musulman pratiquant au terroriste. Pour eux, il n’existe pas de différence de nature, mais une simple différence de degré, c’est très problématique. Alors que jamais on ne dit que les salafistes ont été en première ligne dans la lutte contre les terroristes… Le problème de ce rapport qui parle d’islam et d’islamisme, c’est que le curseur de l’islamisme commence au simple pratiquant. Dans son livre, L’Islam, une religion française, Hakim El Karoui écrit, page 51, que « manger halal est un marqueur islamiste », c’est totalement idiot. Ça fait 1 400 ans que le prophète lui-même – paix et bénédiction sur lui – a dit qu’il faut manger halal. Pire encore, il cite le verset et avance que ce verset dit « explicitement le contraire »… C’est la marque d’une vraie ignorance.
On peut aussi parler de cet éternel débat sur le hijab qui ne serait pas obligatoire… Le hijab est obligatoire ; après chacun voit midi à sa porte, si une jeune femme musulmane ne veut pas le porter, c’est entre elle et Dieu. Troisième ineptie : Hakim El Karoui écrit que la prière du vendredi « n’a pas un sens religieux comme la messe ». C’est extraordinaire ! C’est comme dire que le pape serait marié ou qu’il est bouddhiste. Au fond, quelle est la légitimité intellectuelle, religieuse ou scientifique de cet homme ? Aucune.
Que pensez-vous de la proposition de créer un « Tracfin halal » ?
Cela fait des dizaines d’années que les mosquées sont surveillées… Tous les mois, les RG rencontrent les responsables pour faire un point et Tracfin surveille déjà les mouvements de fonds dans les associations cultuelles ! Tout part de l’idée que le Qatar et des mouvements terroristes injecteraient de l’argent dans les mosquées… C’est faux ! Moins d’une dizaine de mosquées ont été financées par des investissements étrangers, les autres ont été construites grâce à l’argent des fidèles. Les apports de fonds étrangers dans les mosquées sont très réduits, même Hakim El Karoui le reconnaît dans son livre. Avec lui, on a l’impression que les musulmans constituent une cinquième colonne. Ce rapport, c’est le protocole des sages du Caire !
Donc pour vous Macron ne devrait pas consulter sur l’islam ?
Il y a un problème de fond. Sur l’islam, qui Macron écoute-t-il ? Il a consulté Gilles Kepel, dont on connaît l’acrimonie à l’égard de l’islam, Kepel expliquant dès les années 90 que l’islam était une sorte de Subutex des pauvres Arabes, un expédient contre la misère sociale et affective. Deuxième personnage consulté par Emmanuel Macron, Hakim El Karoui, qui, dans son livre, ne met en avant que des gens qui ont délaissé l’islam et qui n’ont d’islamique que le nom… pour dire les choses de façon triviale, des gens qui sentent la merguez ! Troisième personnage consulté, Haïm Korsia, le grand rabbin. On nage en plein délire ! Oui, je veux bien m’asseoir avec Haïm Korsia pour discuter du rapprochement des filières halal et casher par exemple, mais pas de l’organisation de l’islam ! Comment peut-on décider d’une telle mise sous tutelle ? C’est une insulte.
Tout le monde semble d’accord pour dire que le CFCM ne fonctionne pas et ne rend service à personne. Que faut-il en faire ?
Quand on nous parle du CFCM, on parle des gens de l’islam de France, mais qu’est-ce que l’islam de France, si ce n’est l’islam des consulats ? Le CFCM ne fonctionne pas, car vous avez l’Algérie, le Maroc, la Turquie et l’UOIF…, chacun cherchant essentiellement à bloquer l’autre. Ajoutez à ces représentants la présence de la France qui délègue des fonctionnaires du bureau des cultes du ministère de l’Intérieur pour assister aux réunions… Oui, il faut un organisme pour s’occuper de guider, de discuter, d’éclairer et pourquoi pas de gérer, comme une fédération.
Marwan Muhammad, ancien président du Collectif contre l’islamophobie en France, mène en parallèle une consultation des musulmans dont il présentera les résultats le 30 septembre. En quoi cette consultation vous semble-t-elle plus légitime ?
Cette consultation est une très bonne chose, car elle signifie la prise en charge des musulmans par eux-mêmes. Personne n’a le droit de décider pour nous. Aujourd’hui, les assises qui ont lieu dans les préfectures ne sont rien d’autre qu’une violation du principe de laïcité. Comment des fonctionnaires de l’État peuvent-ils dire aux musulmans : « Asseyez-vous, on va décider ensemble de ce que nous allons faire pour vous » ? D’autant plus que des non-musulmans sont invités autour de la table… Si on parle de religion et de pratique religieuse, en quoi un non-musulman peut venir décider pour nous ? C’est comme si des chasseurs décidaient à une réunion d’écolos ! Ne venez pas en conquérant décider à ma place comment je dois prier.