INFO FRANCEINFO. Comment lutter contre les violences sexuelles ? Voici les 35 propositions d’un rapport d’experts
Elles ont été élaborées lors d’une audition publique de tous les spécialistes du sujet au ministère des Solidarités et de la Santé, en juin. Une première en France depuis 17 ans.
C’est un rapport qui s’attaque à un sujet brûlant en France et dans le monde.« On a été doublés depuis un an par cette campagne #MeToo qui vient dire l’urgence qu’il y a à communiquer là-dessus et à faire des propositions pour que l’on puisse lutter efficacement contre les violences sexuelles », indique Mathieu Lacambre, psychiatre et président de la Fédération française des Criavs (les Centres ressources pour les intervenants auprès des auteurs de violences sexuelles).
Ce dernier a participé avec l’ensemble de la communauté scientifique spécialiste de la question des violences sexuelles à une audition publiquequi s’est tenue les 14 et 15 juin au ministère des Solidarités et de la Santé, à Paris. La première depuis 2001 sur ce sujet. Un rapport a ensuite été rédigé sous la présidence de Jean-Marie Delarue, ancien contrôleur général des lieux de privation de liberté.
Près de 35 propositions ont ainsi été formulées par une quinzaine de structures. Notamment l’Association nationale des juges de l’application des peines, la Direction générale de l’offre de soins ou encore la Fédération française de psychiatrie. Elles seront toutes remises prochainement à la ministre des Solidarités et de la Santé, Agnès Buzyn. Franceinfo a consulté en exclusivité ce rapport, qui comporte notamment un gros volet sur la prévention des violences sexuelles.
L’amélioration de la prévention des violences sexuelles
• S’intéresser aux enfants de moins de 12 ans. Le tableau dressé par le rapport en matière de prévention est bien noir : « La prévention en matière de violence sexuelle reste le parent pauvre des actions menées, quel que soit le champ concerné : sanitaire, judiciaire, ou social ». Pour prévenir le premier passage à l’acte, le rapport porte notamment une attention particulière aux mineurs. Et fait cette proposition :
Faire bénéficier d’une prévention spécifique les enfants âgés de moins de 12 ans qui se livrent à des comportements sexuels problématiques.consulté par franceinfo
« Il faut agir tôt. On parle d’enfant, qui dans son vocabulaire, va utiliser des mots qui concernent des adultes, comme ‘pipe, sodomisation’ ou qui va se caresser beaucoup ou encore toucher le zizi des copains. Là, il y a un problème », précise Mathieu Lacambre.
• Multiplier les structures consacrées aux mineurs auteurs de violences sexuelles. Le rapport suggère aussi « d’augmenter le nombre et la visibilité des structures qui prennent en charge les mineurs auteurs de violences sexuelles ». « On part de pas grand-chose aujourd’hui. Il y a quelques dispositifs en pédopsychiatrie, mais il n’y a pas de structures dédiées », indique Mathieu Lacambre. De manière plus générale, les spécialistes estiment que « les programmes scolaires devraient intégrer la notion plus globale de promotion de la santé et aborder la santé sexuelle, y compris dans sa dimension de plaisir ». « La réflexion sur la question du consentement doit impérativement y figurer », ajoutent-ils.
• Créer un numéro d’écoute pour les pédophiles. Autre proposition majeure de ce rapport : « Evaluer et développer au niveau national l’expérience de réseaux d’écoute pour proposer un numéro d’appel unique. » A ce titre, un numéro vert unique à destination des personnes présentant une attirance sexuelle pour les enfants est actuellement en cours d’élaboration. Il sera lancé en juin 2019 lors du Congrès international francophone sur l’agression sexuelle, précise Mathieu Lacambre.
• Evaluer les dispositifs de rencontres auteurs-victimes. Enfin, le rapport évoque également la possibilité de « conduire des recherches-actions sur les dispositifs de rencontre auteurs-victimes, afin d’en mesurer la pertinence ». C’est ce que fait notamment l’association L’Ange Bleu de Latifa Bennari, qui organise des rencontres entre pédophiles et victimes.
La formation des spécialistes
• Améliorer la formation initiale et continue des professionnels. « En matière de formation initiale, que ce soit au niveau du diplôme d’études spécialisées en psychiatrie ou du Master II en psychologie clinique, les cours consacrés spécifiquement à la prise en charge des auteurs de violences sexuelles sont rares et consistent au mieux en une sensibilisation », déplore le rapport. Pour y remédier, les spécialistes de la question préconisent « d’introduire des enseignements spécifiques dès la formation générale et de renforcer la formation continue des professionnels de santé et des psychologues ».
En matière de formation initiale, on part de tellement loin. Tous les professionnels sont touchés, qu’ils travaillent dans l’éducation, la justice, le médical et le social.à franceinfo
« L’enjeu, c’est de pouvoir savoir en formation initiale : qu’est-ce que la question des violences sexuelles ? Quelles peuvent être les conséquences des violences sexuelles ? Et puis ensuite, quelles peuvent être les ressources en cas de besoin ? » poursuit le psychiatre Mathieu Lacambre.
Interrogée en juin par franceinfo sur la question spécifique de la pédophilie, Cécile Miele, psychologue au Centre de ressources pour les intervenants auprès des auteurs de violences sexuelles (Criavs) au CHU de Clermont-Ferrand, déplorait « qu’en psychologie, on ne parle pas du tout aux étudiants de pédophilie, mais seulement de développement psychosexuel, de sexualité en général. »
• Diversifier la formation des professionnels. Le rapport propose aussi de « renforcer la formation initiale des psychologues » mais aussi de « renforcer les dispositifs de formation continue sur des modules de psychocriminologie clinique afin de favoriser la montée en compétence des professionnels de santé ».
L’évaluation et le suivi des auteurs de violences sexuelles
• Ouvrir l’expertise judiciaire à des non-psychiatres. Le rapport propose de « confier l’expertise à une collégialité d’experts ou à une unité spécialisée de la psychiatrie légale, et notamment pour les expertises nécessitant une évaluation précise de la dangerosité ». L’idée est, ici, de ne plus seulement recourir à des experts-psychiatres mais de s’ouvrir à d’autres professionnels. « Les psychiatres, même lorsqu’ils sont en collégialité, ne vont parler qu’entre psychiatres alors que l’on sait que la notion de dangerosité, qu’elle soit psychiatrique, psychologique ou criminologique, convoque des dimensions complémentaires mais très différentes », détaille Mathieu Lacambre.
• Légiférer pour mieux distinguer injonction et obligation de soins. Les spécialistes proposent enfin de faire évoluer la législation « en permettant au magistrat de se prononcer en faveur d’une obligation de soin, ou bien d’une injonction, et ce en fonction de la nature des soins requis par l’expert. » Pour comprendre ce point-là, Mathieu Lacambre rappelle d’abord la distinction entre les deux : « L’obligation de soins, c’est tout type de soins sans qu’il y ait de contrôle sur le contenu des soins. Il n’y a pas d’expertise préalable, il n’y a pas de suivi particulier de la personne qui a été condamnée, il n’y a pas de retour sur l’évolution du sujet. »
Au contraire, « dans l’injonction de soins, née avec la loi de 1998, on a inventé un dispositif avec une interface entre la santé et la justice qui est le médecin coordinateur. Il va rendre compte de l’évolution de la personne qui a été condamnée auprès du magistrat. »
La distinction entre l’obligation et l’injonction est compliquée à mettre en oeuvre. ll peut y avoir des problèmes de confusion en imposant des obligations de soins pour des personnes qui ont besoin d’une injonction ou l’inverse. à franceinfo
« Il apparaît souhaitable que l’injonction de soins soit limitée aux auteurs d’infractions pour lesquels l’intervention d’un soignant a un sens. Le caractère obligatoire de l’injonction de soins doit être abandonné. Le découplage entre définition de mesures de sûreté et définition du suivi socio-judiciaire doit être assuré, précise encore le rapport, qui met en garde : la prise en charge ne saurait, de manière générale, se résumer, à des mesures de police vaguement colorées par du médical. »