Gilles Kepel, politologue spécialiste de l’Islam : «Les sermons doivent être en français»
Société – Gilles Kepel, politologue, spécialiste de l’Islam, auteur de nombreux ouvrages. A paraître en octobre 2018 : «Sortir du chaos : les crises en Méditerranée et au Moyen-Orient «Gallimard)
Que vous inspire la polémique née du prêche de l’imam accusé d’avoir commenté un hadith antisémite ?
Ce prêche a eu lieu à Toulouse, dans la ville où ont été commis les crimes antisémites de 2012. Un facteur sensible supplémentaire ?
Vous évoquez également le problème récurrent de l’interprétation ?
Cette affaire pose le problème de ce qui passe en arabe et qui ne passe pas en français. Le sermon a été prononcé en arabe et socialement la langue arabe n’a pas les mêmes tabous, les mêmes interdits que la langue française. Le même sermon prononcé en Arabe en Algérie et en français en France ne revêt pas la même signification pour les auditeurs. Ainsi, ce genre de hadith, considéré comme authentique, est cité très régulièrement dans les pays arabes pour évoquer la résistance palestinienne ou justifier la guerre avec Israël. Mais le transférer dans le contexte toulousain, quels que soient les autres aspects du sermon, et même s’il est recontextualisé, paraît difficile à accepter. Tout le problème vient de ce passage d’un univers de sens à un autre, à Toulouse d’autant plus.
L’imam, lui-même, revendique par ailleurs un islam modéré. Que faut-il comprendre ?
Cet hadith pose problème, je l’ai dit, quant à l’interprétation de ceux qui l’écoutent mais c’est bien à celui qui le prononce que revient la responsabilité. Je ne connais pas personnellement cet imam mais il ne peut pas ne pas être conscient du contexte dramatique toulousain.
La question du contenu des prêches et de la formation des imams reste sensible. Que préconisez-vous ?
La situation n’a guère évolué. On attend que le président de la République se prononce sur ces questions mais son discours sur l’islam de France a été repoussé au début de l’année 2019. Il me semble d’abord important qu’en France, les sermons soient prononcés en français, cela permettrait de lever toutes les ambiguïtés, d’autant qu’aujourd’hui l’immense majorité des musulmans de France sont capables de comprendre la langue. Cette affaire ne serait d’ailleurs pas advenue si le sermon avait été prononcé en français – car une telle citation en public serait immédiatement indicible, sauf à se mettre au ban de la nation. Il faut également que la formation des imams se déroule en France pour qu’ils aient conscience du contexte social et culturel dans lequel ils prononcent leur sermon.