Face au trafic de drogue, les habitants de la Carrer d’En Roig organisent des « caceroladas ». Ces manifestations visent à dénoncer l’occupation illégale d’un immeuble par des toxicomanes. Une situation répandue dans le quartier du Raval avec l’abandon des logements acquis par des banques.
Photos et vidéo: VJ/ Equinox
Depuis plusieurs semaines, tous les soirs, c’est le même rituel. Le bruit des sifflets, des casseroles et des cloches retentit dans la rue d’En Roig du Raval. Un vacarme qui symbolise l’exaspération de ses habitants qui ne supportent plus que leur rue soit devenue le lieu d’approvisionnement et de consommation des toxicomanes de Barcelone. Organisées vers 22 h, ces « caceroladas » visent plus précisément à dénoncer l’occupation illégale de l’immeuble numéro 22 situé au croisement de la rue d’En Roig et la rue Picalquers qui sert aujourd’hui de point de vente de drogues dur
Propriété d’une société d’investissement immobilière et d’une banque, l’immeuble à l’abandon est occupé par des squatteurs et des vendeurs de drogue depuis cinq ans. Au départ, les trafiquants demeuraient discrets et effectuaient leurs transactions illégales à l’abri des regards. Cependant depuis quelques mois la situation s’est dégradée. Les héroïnomanes ont commencé à se piquer en pleine rue et à laisser derrière eux leurs seringues ensanglantées. Les voisins ont aussi assister aux bagarres quotidiennes des trafiquants et se sont habitués à retrouver des drogués agonisants en bas de leur domicile.
Le désarroi des habitants du Raval
Se sentant livrés à eux-mêmes, ces habitants ont décidé d’agir contre l’enracinement du trafic de drogue dans leurs rues. Ils ont ainsi créé un compte instagram « picalquers.roig » dans lequel ils réunissent les photos et les vidéos montrant des scènes auxquelles ils sont confrontés chaque jour. On peut y voir des drogués dormir sur les pavés de la rue ou escalader des immeubles pour s’introduire dans les appartements abandonnés. Les résidents ont aussi créé un groupe whatsapp qui leur permet de coordonner la préparation de la casserolade quotidienne. Toutes les nuits, ce concert de casseroles mobilise des jeunes, des retraités ou encore des familles entières, tous épuisés par la situation.
Chaque soir, Jacinto, le patron du bar de la rue d’En Roig participe au rassemblement avec son rouleau à pâtisserie et son couvercle de marmite. Posté devant son établissement qu’il tient depuis 40 ans, il se sent impuissant face aux agissements des trafiquants du quartier. « C’est le Raval caché ici, celui que les touristes ne voient pas. Les banques laissent leur logement inoccupé et la police sait qu’il y a des trafiquants mais ne fait rien » se désole le restaurateur.
Julien, un jeune franco-espagnol qui vient d’emménager dans la rue, participe lui aussi aux manifestations nocturnes. « La cacerolada, on la fait parce que médiatiquement ça fait du bruit et que ça ennuie les dealers. On espère réussir à faire pression sur la mairie » explique le jeune homme qui vit à Barcelone depuis plusieurs années. Dans cette rue touristique située en plein coeur du Raval, la manifestation n’est pas toujours comprise par les vacanciers. « Souvent les touristes qui traversent la rue croient que c’est une fête ou un carnaval. Ils font des vidéos sans savoir ce qui se passe. Malgré tout, le problème est réel, j’ai dû faire changer la porte d’entrée de mon immeuble pour empêcher les drogués de rentrer » raconte Julien, désabusé.
Depuis son balcon, Miguel, propriétaire de son appartement depuis 40 ans, agite lui aussi ses casseroles. Il est exténué par les allées et venues des drogués qui perturbe la vie du voisinage. « Encore aujourd’hui, les squatteurs ont lancé une bouteille de gaz depuis les escaliers de leur immeuble. Elle a roulé jusque dans la rue et a failli blesser une femme avec une poussette qui passait par là. On a appelé la police qui est simplement venue récupérer la bouteille » soupire Miguel. Depuis plusieurs semaines, il dénonce l’inaction des autorités. « Nous ne recevons l’aide d’aucune institution » explique-t-il. Les habitants vont pourtant régulièrement déposer plainte au commissariat. Cependant, la police leur répond qu’elle ne peut pas intervenir sur une propriété privée sans ordonnance d’un tribunal.
La mairie veut renforcer la propreté et la sécurité
De son côté, la mairie affirme avoir mis en oeuvre des mesures pour renforcer la propreté et la sécurité de l’espace urbain. L’Agence de Santé Publique a ainsi augmenté le nombre d’éducateurs de santé chargés de venir en aide aux toxicomanes qui errent sur la voie publique. La mairie explique aussi avoir intensifié le nettoyage de la rue afin de minimiser la présence des seringues sur le sol.
La rue d’En Roig est aussi incluse dans la zone « Raval Sud » qui est concernée par Le Pla de Barris (le plan des quartiers). Mis en place début 2017, ce projet porté par la mairesse Ada Colau vise à réduire les inégalités à Barcelone. Il cible 16 zones géographiques qui doivent faire l’objet de mesures concrètes afin de pallier à leur manque d’équipements urbains et de redynamiser leur activité économique. En théorie, le Pla de Barris permet de promouvoir la réhabilitation des logements urbain grâce à l’injection de fonds publics. « La meilleure prévention suppose de prévenir la multiplication des logements inoccupés » explique la mairie.
L’inertie des banques propriétaires des murs
Cependant dans le cas de l’immeuble de la Carrer d’En Roig, deux étages sont détenus la société immobilière Budmac Investment et le troisième est la propriété de la banque Catalunya Banco S.A. Sans une plainte déposée par ces deux entités, aucun tribunal ne peut délivrer une ordonnance autorisant les Mossos à rentrer légalement dans l’immeuble. Cette inertie de la part de la société immobilière et de la banque facilite ainsi les occupations et ralentit le délogement des squatteurs.
Pour renforcer la sécurité, la mairie explique avoir intensifié la présence des forces de sécurité dans le Raval et améliorer la coopération entre Les Mossos d’Esquadra (police catalane) responsables des affaires de drogue et la Guardia Urbana (police municipale) en charge des problèmes de voisinage. Elle rappelle qu’au cours de l’année, il y a eu 14 interpellations pour « délit contre la santé publique » dans des appartements squattés du Raval. Quatre de ces arrestations ont eu lieu pendant le mois de juin. Cependant à la suite de ces expulsions, les logements demeurent accessibles et sont rapidement occupés illégalement par de nouveaux trafiquants.
Un phénomène sans fin qui paralyse le quartier du Raval. En plus de la Carrer d’En Roig, des mouvements de voisins en colère face au trafic de drogue sont aussi apparus dans la Carrer Riereta et la Carrer Vistalegre, des rues situées à quelques pas les unes des autres.