La ville de Marseille disposera dès 2018 d’un algorithme d’analyse des données urbaines, en vue de prévenir les risques de troubles à l’ordre public.
LE MONDE | 08.12.2017 à 09h20 | Par Claire Legros
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L’analyse de données numériques peut-elle contribuer à prévenir les troubles à l’ordre public ? Alors que de nombreuses collectivités en France misent sur les plates-formes de données pour optimiser les déplacements et l’empreinte énergétique urbaine, la ville de Marseille annonce la création d’un outil d’analyse pour « garantir de manière plus efficace la sécurité et la tranquillité publique des citoyens ».
Baptisé « Observatoire de la tranquillité publique », ce centre de supervision est inédit dans une grande ville française. Selon la ville de Marseille, il recueillera l’ensemble des données publiques disponibles : mains courantes de la police municipale, captations des caméras de surveillance, informations relevées par les marins-pompiers ou les agents des espaces verts…
Anticiper les risques
Au-delà de la collecte, l’outil développé par Ineo Digital, filiale d’Engie, vise à analyser ces informations et les croiser avec d’autres données, comme celles des opérateurs de téléphonie mobile, de transport public, de l’AP-HM (Assistance publique-Hôpitaux de Marseille), pour « mieux anticiper les risques ». « Nous allons également utiliser les données de météo et les grandes tendances des réseaux sociaux dans une finalité de sécurité », explique Caroline Pozmentier, adjointe au maire en charge de la sécurité publique, qui évoque un « big data de la tranquillité publique, premier pilier de la smart city marseillaise ».
Cofinancé par la ville, la région, le département et l’Union européenne, le dispositif sera opérationnel au premier trimestre 2018. Concrètement, il devrait aider la police municipale à mieux anticiper et organiser la sécurité lors de grands événements comme des matchs de football ou des manifestations de rue, en croisant les données présentes et passées : où faut-il envoyer les agents municipaux ? Quels circuits privilégier pour les patrouilles ? « Entre 2018 et 2020, l’outil va être alimenté par de nouveaux cas d’usage. Avec le machine learning, l’algorithme va apprendre au fur et à mesure et apporter des analyses de plus en plus pertinentes, en fonction de l’expérience accumulée et des retours des services », assure Sébastien Vinant, directeur de l’innovation chez Inéo Digital.
Les résultats définitifs, prévus en 2020, seront mis à disposition de l’ensemble des services par l’intermédiaire de tableaux de bord. Le programme prévoit aussi la création d’une application mobile où les habitants de Marseille pourront signaler d’éventuels problèmes.
Des choix politiques
L’utilisation d’algorithmes s’est généralisée ces dernières années dans la police, notamment dans le cadre des enquêtes pour cibler une personne en croisant les données relatives à un crime. En France, la police et la gendarmerie nationales se sont chacune dotées de tels outils. Aux Etats-Unis, plusieurs villes ont adopté le logiciel d’aide à la décision PredPol qui détermine les zones à plus fort risque de criminalité en analysant la géolocalisation des crimes passés.
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Le logiciel développé pour la ville de Marseille relève plutôt de l’outil d’aide à la décision pour les services municipaux. « Il ne s’agit pas à proprement parler de police prédictive, car cet outil n’aura pas accès aux données de criminalité qui relèvent de la police nationale, explique Jean-Luc Besson, géostatisticien à l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales. L’objectif est de rationaliser le travail des forces de sécurité municipales en tirant la leçon d’événements passés. »
Pour ce spécialiste de la donnée, l’efficacité du projet dépendra de la qualité des informations recueillies par la plate-forme. Quel sera son impact sur la vie privée des Marseillais et les libertés publiques ? « Ce n’est pas le programme, mais l’usage qui en est fait qui peut poser problème, estime-t-il. Dans tous les cas, il est important d’ouvrir l’algorithme afin de permettre un contrôle indépendant tout en préservant les intérêts commerciaux des développeurs. »
C’est aussi l’avis du sociologue au Laboratoire interdisciplinaire science innovation société (LISIS) Bilel Benbouzid, à l’université Paris Est Marne-la-Vallée, qui a travaillé sur l’algorithme PredPol. « En confiant la distribution des ressources en matière de sécurité à un algorithme, on s’en remet à une machine. Mais au nom de quels critères ? Il existe toujours des critères de pondération : pour PrédPol, c’est le coût du crime. D’autres programmes mettent en avant la gravité des faits. Dans tous les cas, ces priorités déterminent des choix politiques qui doivent être expliqués. Il est nécessaire que la communauté des scientifiques et des associations citoyennes puissent avoir accès à la méthode et aux données, pour rendre compte de la manière dont les algorithmes distribuent les services publics de sécurité et des choix moraux associés à cette distribution qui ne sont pas forcément connus des acteurs eux-mêmes. »
Impact sur la vie privée
Dans sa synthèse « La plate-forme d’une ville, les données personnelles au cœur de la fabrique de la smart city », publiée le 10 octobre, la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) pointe les risques pour les libertés individuelles que pose la masse grandissante de données urbaines. Elle préconise la création de « comités consultatifs sur la vie privée » dans les collectivités.
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A Marseille, Caroline Pozmentier se dit prête à créer un tel comité. « Sur notre plate-forme, nous n’utiliserons que des données anonymisées, assure-t-elle. Et nous travaillons avec la CNIL dans le respect strict du référentiel de recommandations que nous appliquons déjà pour notre système de vidéoprotection. »
La ville a nommé un délégué à la protection des données, comme le préconise le futur règlement européen sur la protection des données personnelles (RGPD) qui encadrera de façon plus stricte à partir de mai 2018 l’utilisation des données personnelles. Dans son article 27, le RGPD imposera aussi aux collectivités de réaliser une analyse d’impact sur la vie privée, pour tout service engendrant un risque élevé pour les droits et les libertés des personnes physiques.