Acte sexuel avec un mineur : que dit le droit ?
Un homme de 28 ans est jugé mardi pour « atteinte sexuelle » sur une enfant de 11 ans. Et non pour « viol ». Décryptage juridique avec des spécialistes.
PAR LAURENCE NEUER
À 11 ans, peut-on consentir à un acte sexuel ? La justice française semble répondre oui. En avril 2017, Sarah, 11 ans, élève de sixième dans le Val-d’Oise, a suivi un homme de 28 ans qui l’avait abordée dans un square. L’homme obtient de l’enfant une fellation, puis l’emmène dans son appartement, où il la pénètre. La famille porte plainte pour viol, mais le parquet de Pontoise choisit de poursuivre l’auteur présumé des faits pour « atteinte sexuelle sur mineur de 15 ans », et non pour viol. L’affaire, révélée par Mediapart, a beaucoup choqué et la qualification retenue a été très contestée.
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En poursuivant l’homme pour « atteinte sexuelle » et non pour « viol », le parquet semble considérer que Sarah était consentante. En France, pour qu’il y ait « agression sexuelle » ou « viol », il faut que l’acte ait été commis avec « violence, contrainte, menace ou surprise ».
Qu’est-ce qui pèsera dans la décision du tribunal de Pontoise, où le procès doit débuter mardi après midi ? Sur quelle base légale pourrait-il requalifier l’infraction ? Consentement, discernement, contrainte, différence d’âge, autorité… Décryptage de l’état actuel du droit.
« Atteinte sexuelle », « agression sexuelle », « viol » sur mineur de 15 ans
À partir de 15 ans, une relation sexuelle consentie échappe à toute qualification pénale sauf si elle a eu lieu avec un ascendant ou une personne ayant abusé de son autorité.
Il y a « agression sexuelle » lorsque l’atteinte sexuelle est commise par « contrainte, menace, violence ou surprise », dit l’article 222-22 du Code pénal. S’il y a pénétration (la fellation étant, juridiquement, un acte de pénétration), c’est un viol, crime passible de 20 ans de réclusion criminelle dès lors que la victime est âgée de moins de 15 ans, son jeune âge étant une circonstance aggravante de l’infraction. Sinon, il s’agit d’une « agression sexuelle » autre que le viol, délit passible de 10 ans d’emprisonnement si la victime est mineure (moins de 18 ans).
Si l’acte sexuel ne s’accompagne d’aucune violence, contrainte, menace ou surprise, on parle d’« atteinte sexuelle ». C’est la qualification retenue par le parquet dans l’affaire de Sarah. Si le tribunal correctionnel de Pontoise la retient aussi, l’auteur risquera au maximum 5 ans de prison.
Consentement du mineur de 15 ans : du cas par cas
Le consentement de la victime est l’élément constitutif de l’infraction, autrement dit, l’accord du mineur sur la relation sexuelle fait tomber la culpabilité de son partenaire. Savoir si le consentement est réel et n’a pas été obtenu par contrainte (physique ou morale) ou menace par exemple relève de l’appréciation du juge, selon les circonstances de l’affaire qui lui est soumise.
Résumons : soit le mineur doué de discernement a dit « oui » et, dans ce cas, le majeur ne commet pas d’agression sexuelle (sauf si le consentement de la victime a été donné sous l’empire de la contrainte, de la violence, de la menace ou de la surprise), soit il n’avait pas le discernement nécessaire pour consentir et l’agression est constituée, même dans l’hypothèse où le mineur prend l’initiative des relations sexuelles.
Le consentement « vicié » d’une fillette de 11 ans
Dans les faits, les magistrats considèrent que les très jeunes enfants sont incapables d’appréhender la nature et la gravité de l’agression sexuelle, faute d’avoir le « discernement » nécessaire. « Mais qu’est-ce que le discernement » ? Savoir distinguer le bien du mal ? Adhérer à la relation sexuelle ? La loi ne le précise pas, et là encore, c’est au juge de l’apprécier in concreto, explique Philippe Conte, professeur de droit à l’université Panthéon-Assas.
Sur ce point, Évelyne Sire-Marin, vice-présidente du TGI de Paris, précise : « C’est une pratique constante de la chambre que j’ai présidée, spécialisée dans les infractions dont l’auteur et/ou la victime est mineur : l’absence de consentement du mineur victime d’une atteinte sexuelle (agression ou viol) de moins de 15 ans est presque toujours présumée, sauf si la jeune fille (ou le jeune homme) est considérée comme parfaitement informée en la matière (par exemple, elle a déjà eu de nombreuses relations sexuelles, elle a manifesté de façon très répétée et explicite son consentement). Mais à 11 ans, le consentement est vicié d’emblée, quelle que soit l’attitude de la victime présumée. »
Et si, pour une meilleure harmonisation du droit, le législateur inscrivait cette présomption de non-consentement en deçà d’un certain âge (par exemple 12 ou 13 ans) dans la loi comme c’est le cas dans certains pays ? « Pourquoi pas. À condition d’en faire une présomption simple. Elle doit pouvoir être renversée par la preuve contraire, car, ici comme ailleurs, s’il faut protéger les victimes, il faut aussi respecter la présomption d’innocence », estime Philippe Conte.
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La différence d’âge ne fait pas forcément présumer la contrainte
Pour achever de rendre les choses complexes, le législateur est venu préciser que la « contrainte morale peut » – et non pas « doit » – résulter de la différence d’âge entre la victime et son agresseur « ET » de l’autorité de droit ou de fait que l’agresseur exerce sur sa victime. « En présence d’une telle différence d’âge, la lettre du texte (« peut ») comme d’ailleurs son interprétation par le Conseil constitutionnel, indique qu’elle ne devrait pas conduire automatiquement le juge à estimer qu’il y a eu contrainte morale. Et d’ailleurs, la jurisprudence n’exige pas la réunion de ces deux conditions. Il suffit qu’il y ait seulement une différence d’âge entre l’auteur et la victime pour considérer qu’il y a contrainte, souligne Philippe Conte. La différence d’âge est donc un indice laissant présumer la contrainte. « La Cour de cassation, en revanche, a plutôt tendance à lire une déduction automatique entre la différence d’âge et la contrainte », nuance le professeur de droit.
Dans l’affaire de Sarah, le parquet a considéré que malgré la différence d’âge, la fillette n’a, à aucun moment, manifesté une opposition, excluant selon lui la contrainte. « Rien ne s’oppose à ce que les juges saisis requalifient l’infraction et retiennent le viol du fait de la contrainte liée à la différence d’âge, relève Philippe Conte. Le juge est tout aussi libre de déterminer si oui ou non le majeur exerçait une autorité sur le mineur (ce qui est le cas, par exemple, du concubin de la mère ou du mari de la nourrice qui garde l’enfant). Et il n’a pas à expliquer les raisons qui l’ont conduit à estimer, à partir de cette autorité ou différence d’âge, qu’il y a eu contrainte morale. »
L’erreur sur l’âge du mineur: cause d’exonération ?
La jurisprudence est très sévère sur ce point : c’est à l’auteur de prouver qu’il a fait la démarche de vérifier l’âge du mineur. Son « erreur » est rarement pardonnée. « S’il prétend, par exemple, qu’il a cru la mineure sur parole, cela ne suffit pas. Mais il peut néanmoins plaider sa bonne foi, en disant qu’elle se faisait passer pour plus âgée, sur les réseaux sociaux, par exemple. « Et le viol par imprudence (celle par exemple de n’avoir pas vérifié la réalité de l’âge du mineur) n’est pas condamnable », rappelle le professeur de droit.
Le traitement des viols par les tribunaux correctionnels
Les affaires de viol représentent à l’heure actuelle 60 % du contentieux des cours d’assises. « En pratique, on s’est aperçu que les jurés populaires avaient tendance à acquitter un peu trop souvent les auteurs parce qu’ils s’attachaient à l’attitude de la victime, à sa tenue vestimentaire, à ses relations sexuelles antérieures, etc. », relève Évelyne Sire-Marin. S’y ajoutent les grandes disparités de jugement entre les différentes cours d’assises de France. « Les parquets se sont donc dit qu’il valait mieux correctionnaliser certaines de ces affaires, les porter devant des magistrats professionnels qui seront plus enclins à juger de l’aspect juridique du dossier (actes commis, perception par le prévenu du consentement de la victime). De fait, les tribunaux correctionnels condamnent pour « agression sexuelle » alors qu’il s’agit juridiquement d’un viol, mais la condamnation intervient beaucoup plus rapidement que celle d’une cour d’assises, ce qui est très important notamment pour la victime, qui ne doit pas attendre des années après les faits, comme aux assises », note la magistrate.
L’envers de la médaille, c’est la durée de la peine encourue et réellement prononcée. « Aux assises, les auteurs de viol sont en général condamnés à des peines de 6 à 10 ans, contre 1 à 5 ans de prison en correctionnelle, avec ou sans sursis, pour les auteurs d’agressions sexuelles. Mais, quelle que soit la juridiction, les condamnés sont tous inscrits pendant 20 à 30 ans au FIJAIS (fichier automatisé des délinquants sexuels) avec de sévères obligations (pointer au commissariat, signaler tout changement d’adresse, etc.) », ajoute Évelyne Sire-Marin.