Affaire des passeports diplomatiques : trois questions sur les versions contradictoires de l’Elysée et d’Alexandre Benalla
Il a régné une grande confusion, vendredi soir, dans les échanges par médias interposés entre Alexandre Benalla et l’Elysée.
Dans le nouvel épisode de l’affaire Benalla, deux versions s’affrontent, dans un grand flou, autour des passeports diplomatiques de l’ancien chargé de mission de l’Elysée. La présidence de la République et l’intéressé, reconverti dans les affaires, se sont répondu, vendredi 28 décembre, par lettres envoyées successivement à la presse. Alexandre Benalla a à nouveau détaillé sa version au JDD, à l’occasion d’un article publié dimanche.
>> Quatre questions sur les passeports diplomatiques d’Alexandre Benalla
Plusieurs questions demeurent au cœur de cette nouvelle polémique embarrassante pour l’Elysée : pourquoi l’ancien chargé de mission dispose-t-il toujours de passeports diplomatiques et les a-t-il utilisés pour des voyages d’affaires auprès de dirigeants africains ? Pour y répondre, franceinfo récapitule les dernières versions d’Alexandre Benalla et de l’exécutif.
Ses passeports lui ont-ils été réclamés ?
Dans un document daté du 23 mai 2018, au moment donc où il a reçu un de ses passeports diplomatiques, Alexandre Benalla s’est engagé à rendre les titres « à la fin de sa mission ».
Ce que disent les autorités. Un porte-parole du Quai d’Orsay l’a encore affirmé vendredi : deux lettres recommandées ont été adressées à Alexandre Benalla afin de lui demander de rendre les deux passeports diplomatiques en sa possession. La première date du 26 juillet 2018, moins d’une semaine après le lancement de la procédure de licenciement à son encontre. En l’absence de réponse, une seconde lettre lui a été adressée le 10 septembre 2018. « Ces passeports n’ont pas été restitués à ce jour, écrit alors le ministère. Nous vous prions de bien vouloir les retourner, dans les plus brefs délais, au bureau des passeports et visas diplomatiques. »
Ce que répond Alexandre Benalla. D’après l’entourage de l’intéressé, l’ancien conseiller n’a jamais reçu la relance de septembre dont parle le Quai d’Orsay. Il y a bien une lettre « reçue début août » quand il était en train de déménager. Les passeports se trouvaient alors dans son bureau à l’Elysée, selon la version d’Alexandre Benalla.
A-t-il à un moment rendu les documents ?
C’est la règle, instaurée dans le décret d’application relatif aux passeports diplomatiques. Ce document doit être « restitué au ministère des Affaires étrangères à l’expiration de sa validité ou dès lors que son utilisation n’est plus justifiée ». Mais il y a un flou total sur cette question entre la version d’Alexandre Benalla et celles de l’Elysée et du ministère des Affaires étrangères.
Ce que dit Alexandre Benalla. Deux mois après son licenciement, devant la commission des lois du Sénat, en septembre, Alexandre Benalla a certifié que ses passeports diplomatiques étaient « restés dans le bureau qu’[il occupait] à l’Elysée ». « L’Elysée a dû s’en occuper », ajoutait-il. Une version répétée au Journal du dimanche : « Quand j’ai répondu aux sénateurs, le 19 septembre, les passeports se trouvaient bien dans mon ancien bureau à l’Elysée, comme je l’ai dit. » Les a-t-il dès lors considérés comme rendus ? Il faut le croire, car vendredi, son entourage a assuré qu’ils lui avaient ensuite été restitués « début octobre », avec le reste de ses effets personnels. Par qui ? « La présidence », a précisé Alexandre Benalla dans un courrier adressé au cabinet d’Emmanuel Macron et publié par Le Journal du dimanche.
Ce que répondent les autorités. Le ministère des Affaires étrangères n’a mentionné aucune réponse d’Alexandre Benalla. Et si les passeports se trouvaient dans son bureau de l’Elysée, ils n’ont visiblement pas été récupérés par les services de la présidence. « Si nous avions les passeports, nous n’aurions pas demandé leur restitution », à deux reprises, s’agace par ailleurs l’entourage du président, cité par Le Figaro. Selon les informations du Monde et d’Europe 1, aucun passeport diplomatique n’a en tout cas été retrouvé lors de la perquisition menée dans son bureau à l’Elysée, le 25 juillet, dans le cadre de l’enquête judiciaire ouverte après les incidents du 1er-Mai. Sa procédure de licenciement avait alors tout juste été engagée.
Est-ce qu’Alexandre Benalla utilise toujours ces titres ?
Selon les informations de Mediapart et du Monde, Alexandre Benalla continue de voyager avec un passeport diplomatique émis le 24 mai. Le document a été « utilisé ces dernières semaines pour entrer dans différents pays africains ainsi qu’en Israël », affirme Médiapart, qui cite « des sources sécuritaires ».
Ce que dit Alexandre Benalla. « Dans la mesure où on me les a rendus [en octobre], je n’ai pas vu de raison de ne pas les utiliser, a expliqué samedi l’ex-chargé de mission au JDD. J’ai peut-être eu tort de [m’en] servir. (…)Mais je tiens à dire que je ne l’ai fait que par confort personnel, pour faciliter mon passage dans les aéroports. En aucun cas je ne les ai utilisés pour mes affaires. » La veille, son entourage, cité par BFMTV et l’AFP, se disait « abasourdi que tout le monde s’étonne » de cette affaire. « Il y a quelques personnes qui sont de grands chefs d’entreprise qui en ont eu [des passeports diplomatiques], après en avoir fait la demande, au titre de leurs activités privées, ajoutait cette source. Il n’y a rien d’extraordinaire. »
Ce que disent les autorités. L’Elysée plaide l’ignorance et renvoie au Quai d’Orsay. Le palais présidentiel a affirmé, vendredi, « ne disposer à ce stade d’aucune information remontée par les services de l’Etat concernés sur l’utilisation par Monsieur Benalla des passeports diplomatiques qui lui avaient été attribués dans le cadre exclusif de ses fonctions à la présidence de la République ». L’Elysée a demandé au ministère des Affaires étrangères « de prendre toutes les mesures appropriées » contre Alexandre Benalla, ajoute la présidence. Le Quai d’Orsay a annoncé dans la foulée l’intention de Jean-Yves Le Drian de saisir le procureur de la République : « Toute utilisation de ces passeports postérieure à la fin des fonctions qui avaient justifié l’attribution de ces documents serait contraire au droit. »