Alexandre Goodarzy : « Pour les chrétiens de Syrie, la question est de savoir s’ils vont pouvoir continuer à y vivre »
Le documentaire Syrie, du chaos à l’espérance sort le 27 septembre. Réalisé par Eddy Vicken et Yvon Bertorello, avec la voix de Michael Lonsdale, il nous fait suivre la route des deux hommes à travers toute la Syrie. Une Syrie martyrisée qui tente de se relever.
Alexandre Goodarzy répond aux questions de Boulevard Voltaire.
Un documentaire réalisé par Eddy Vicken et Yvon Bertorello sort : Syrie, du chaos à l’espérance. Ce documentaire retrace le martyre de la Syrie et du peuple syrien. Où en est la Syrie, aujourd’hui ?
S’agissant de la situation militaire, la Syrie est toujours en conflit. En 2015, date depuis laquelle je suis sur place, la Syrie était un peu en peau de léopard. Depuis, ils ont fermé énormément de poches de terroristes qu’ils ont exfiltrés dans la région d’Idlib. Ils ont eu beaucoup de victoires sur de grandes villes du pays.
Aujourd’hui, il reste à pacifier la zone d’Idlib, au nord-ouest de la Syrie, à la frontière turque. Un accord a été récemment conclu entre les Russes et les Turcs sur la question. Par ailleurs, toute la zone à l’est de l’Euphrate, qui représente au moins un quart du pays, est entre les mains des Kurdes du YPG soutenu par les États-Unis et d’autres grandes puissances. Je pense que cette zone sera également une zone à reconquérir pour l’État syrien à un moment ou un autre. C’est tout l’enjeu de l’accord avec Idlib. Les Turcs veulent que la zone soit libérée des Kurdes à l’est de l’Euphrate.
Pour le moment, on joue un peu la montre.
Concernant les Syriens, pour beaucoup, ils sont dans des zones pacifiées depuis longtemps. Ils vivent en paix, mais ont d’autres défis comme l’économie, la reconstruction des villes et la reconstruction des êtres humains. On reconstruit une ville en vingt ou trente ans, mais certaines personnes sont affectées pour le restant de leurs jours. Ce défi-là est aussi très important.
Le « chaos » a fait plusieurs centaines de milliers de victimes depuis le début du conflit. Et « l’espérance » ? Qu’entendez-vous par là ? Faites-vous référence à la reconstruction ou à la perspective de vivre en paix ? Avez-vous noté un découragement de la population syrienne vis-à-vis des années qu’ils viennent de traverser et qu’ils traverseront ?
L’espérance est de voir un État qui retrouve sa souveraineté et vive en paix. On sait que ces événements se sont déjà produits dans le passé. On a peur qu’ils ne se reproduisent à l’avenir.
En apparence, dans certaines villes pacifiées depuis longtemps, les gens vont au boulot et les enfants à l’école, font la fête, vont au restaurant et mangent. Ces choses n’ont pas cessé, même au plus fort de la guerre.
Mais les problèmes de fond, qui pour certains ont créé le soulèvement, ont-ils été résorbés ? Je parle, notamment, de la corruption et des problèmes économiques. L’espérance est de savoir si, après huit années de guerre, les Syriens vont connaître une amélioration de leur situation. A-t-on vraiment des solutions ? Les conséquences de tout cela ont-elles été tirées ? S’est-on réellement battu pour quelque chose ?
L’espérance est aussi, pour les chrétiens, de savoir s’ils pourront continuer à vivre dans un monde où ils se sentent de moins en moins désirés. Ils savent qu’ils sont chez eux. Je ne prétends pas parler en leur nom, mais je répète ce que j’ai entendu de leur part. Dans bien des cas, les chrétiens ont l’impression de se battre pour Téhéran, Riyad ou les intérêts iraniens ou saoudiens.
Certains chrétiens se disent que leur place est là. Ils croient en l’unité syrienne et en cette nation qui va bien au-delà des différences confessionnelles. D’autres se disent qu’ils vont partir. Même s’ils restent là, c’est par dépit, parce qu’ils n’ont pas l’impression d’être désirés chez eux.
On ne peut pas être catégorique. Il y a énormément de discours différents chez les chrétiens.
Et quand je pense à l’espérance chez les chrétiens, je pense à tous ces discours-là.
Alexandre Goodarzy
Journaliste indépendant