Au milieu du brouhaha de la place des Nations unies, dans le centre-ville de Casablanca, une foule de femmes et d’hommes tentent de se faireentendre. Ils se sont rassemblés, mercredi 23 août, pour défendre la condition des femmes au Maroc, deux jours après la diffusion d’une vidéo montrant un groupe d’adolescents agresser sexuellement une jeune femme dans un bus en pleine journée.
« Au Maroc, le harcèlement sexuel a un effet cocotte-minute que cette affaire, qui n’est pas la première, a fait exploser. Aujourd’hui, nous sommes là pour mettre fin à une situation trop longtemps tolérée », affirme une des manifestantes, qui brandit une pancarte sur laquelle on peut lire : « Non à la culture du viol. »
Des femmes qui « doivent se cacher pour exister »
Organisés par un collectif de militantes féministes sur les réseaux sociaux pour dénoncer le harcèlement dont sont victimes les Marocaines, des sit-in ont eu lieu au même moment à Rabat, Marrakech, Tanger et Agadir.
Malgré l’engouement sur Facebook, où plus de 5 000 personnes prévoyaient de participer à ces événements, peu ont répondu présent. « C’est dommage de constater que dans une ville de 4 millions d’habitants, à peine 200 personnes sont venues défendre la cause des femmes », regrette Réda, 20 ans.
Si la mobilisation n’a pas été à la mesure des espérances, les activistes ont ardemment milité pour plus de droits, une justice « plus équitable et plus compétente », plus de libertés et une sécurité pour toutes ces femmes qui « doivent se cacher pour exister ».
« Les femmes ont peur de sortir de chez elles. Elles savent que si elles sont attaquées, personne ne viendra à leur secours. Ni la société civile, ni les autorités », déplore Houria, 36 ans. « Nous avons appris à vivre avec le harcèlement sexuel, à s’adapter en fonction comme si c’était normal. J’évite de prendre le bus pour me déplacer en journée ou de sortir tout court après le coucher du soleil. Jusqu’à quand allons-nous nous laisser faire ? », s’interroge une autre Marocaine dans la foule.
« La femme est constamment tenue responsable »
Plus que la vidéo de l’agression, qui a provoqué une onde de choc dans le pays, les Marocains réunis sur la place se disent outrés par les réactions de leurs compatriotes.
« Beaucoup d’internautes ont pris la défense des agresseurs. Sous prétexte que la jeune femme était habillée trop légèrement ou qu’elle connaissait ses agresseurs, des internautes leur ont donné raison. J’appelle ça une apologie du viol. Ça en dit long sur les mentalités dans notre société, où la femme est constamment tenue responsable », se désole Selma, une des organisatrices de l’événement.
Alors que les militants fustigeaient ces réactions, deux hommes présents dans la foule ont tenté d’interrompre les slogans scandés sur le droit des femmes, affirmant que celles-ci « étaient par nature provocatrices et méritaient les agressions sexuelles qu’elles subissent ».
De leur côté, les politiques n’ont pas été épargnés. Une des pancartes brandies fièrement par les militantes affichait : « Bassima, dégage ! », en référence à Bassima Hakkaoui, la ministre de la solidarité, de la femme, de la famille et du développement social. Celle-ci n’a réagi à l’affaire de l’agression dans le bus que 48 heures après la diffusion de la vidéo, dans un message posté sur Facebook, où elle dénonce un crime « étranger à notre société ».
« Que fait-on des agressions non filmées ? »
« Le projet de loi contre les violences faites aux femmes traîne depuis 2013 au Parlement. Pendant ce temps, notre ministre a une réaction complètement déconnectée de la réalité », s’exaspère Chaima Lahsini, porte-parole du collectif féministe à Rabat, où un sit-in similaire a réuni près de 200 personnes. « Sans parler de Mustapha Ramid [ministre d’Etat chargé des droits de l’homme] qui a minimisé la situation en déclarant que le harcèlement sexuel existait partout dans le monde », ajoute la jeune activiste.
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« Combien de femmes vont-elles subir le même sort avant que la justice n’applique des sanctions à la mesure de ces actes ? », s’interrogent les militantes sur la place, qui regrettent que la police n’ait arrêté les six individus soupçonnés de l’agression qu’après la diffusion de la vidéo, sous la pression de l’opinion publique, alors que celle-ci a eu lieu trois mois plus tôt.
« Qu’est-ce qu’on fait des autres, celles qui ne sont pas filmées ? A peine dimanche, une jeune fille a été violée par cinq hommes et laissée dans la forêt à Kénitra. Mais personne n’est au courant », s’insurge Chaima Lahsini.
Beaucoup des femmes rassemblées place des Nations unies disent avoir perdu confiance en la justice. « Les autorités ne garantissent la sécurité que lorsqu’il existe un danger pour l’Etat, et non pour ses citoyens », conclut désespérément l’une des manifestantes.