Parler de la sexualité dans les pays du Maghreb est un exercice difficile. Il y a ceux qui sont prompts à récupérer le sujet et à l’instrumentaliser pour stigmatiser l’islam. Ceux et celles qui, en dépit de bonnes intentions, ne font que projeter leur propre combat. Il y a les conservateurs et les intégristes qui condamneront a priori. Ceux qui critiqueront l’auteur pour n’être ni musulman ni originaire du pays étudié. Et quand il l’est, de n’être que la voix d’une bourgeoisie occidentalisée.
Le sujet vaut pourtant qu’on lui consacre du temps. Parce qu’il est régulièrement au cœur de l’actualité, mais surtout parce qu’il touche des millions de gens, hommes et femmes. Dans son dernier livre, Leïla Slimani s’en empare, et c’est une réussite. Avec simplicité, intelligence et bienveillance, la lauréate du Goncourt 2016 pour son roman Chanson douce (Gallimard) raconte cette réalité quotidienne dans son pays d’origine, où la sexualité tient autant du tabou que de l’obsession.
La qualité de l’ouvrage réside d’abord dans la démarche de la journaliste et écrivaine franco-marocaine, qui a donné la parole aux premières concernées, les femmes, de milieux populaires ou plus privilégiés, mariées ou célibataires, et d’âges différents. « Mon but n’est pas d’écrire une étude sociologique ni de faire un essai sur la sexualité au Maroc, prévient-elle. Ce que je voulais c’était livrer cette “parole brute”, témoignage poignant d’une époque et d’une souffrance. »
Parmi ces histoires, le témoignage de Zhor, jeune Marocaine issue d’un milieu pauvre et élevée par un père très conservateur, est particulièrement frappant. « Toute mon enfance, explique-t-elle, on m’a répété que coucher était mal, mais ça ne m’est jamais rentré dans la tête. Et le hasard a voulu que ma première fois soit un viol, par trois hommes, quand j’avais 15 ans. » La jeune femme raconte être rentrée chez elle après l’agression,…