La Franche-Comté est-elle condamnée à rétrograder au rang de « sous-préfecture judiciaire » ? La cour d’appel de Besançon sera-t-elle bientôt privée de ses principales compétences juridictionnelles et placée sous la tutelle budgétaire des magistrats dijonnais ? Depuis quelques jours, ces questions taraudent le microcosme judiciaire. Alertés par les projets de la garde des Sceaux, Nicole Belloubet, sur l’organisation judiciaire, plusieurs barreaux se sont déjà mis en grève, comme à Metz où, depuis mardi, un blocus du palais de justice a été décrété par les robes noires, à grand renfort de barrières métalliques et de boycott des audiences. De Nîmes à Limoges, partout, la même inquiétude : une nouvelle réforme de la carte judiciaire, qui ne dirait pas son nom mais viserait à faire passer de trente-deux à treize – une par région administrative – le nombre de cours d’appel, serait dans les tuyaux. Les juridictions situées en dehors des capitales régionales ne disparaîtraient pas formellement mais seraient reléguées au statut de « services » ou « chambres » détachés, sans pouvoir de décision financière, avec des magistrats en nombre limité confinés au petit contentieux de masse tels que les affaires familiales, au civil, ou les appels correctionnels, au pénal.
Emmanuel Macron et son gouvernement savent la matière explosive. En 2007, à peine nommée à la chancellerie, Rachida Dati y était allée sabre au clair… avant de s’y casser les dents.
Sous la pression des avocats de France et de Navarre, qui avaient multiplié grèves perlées et manifestations, la montagne sarkozyste avait accouché d’une souris, le grand redécoupage annoncé se limitant, au final, à la fermeture de tribunaux de seconde zone.
Tout à sa volonté de réformer sans s’enliser, la ministre, Nicole Belloubet, avance à pas de loup sur ce terrain miné. Pas question, jure-t-on place Vendôme, de mettre la clé sous le portail d’un quelconque palais de justice. Avec un art consommé de la litote technocratique, Nicole Belloubet parle d’efficacité et d’adaptation du « réseau judiciaire », de « spécialisations » et de « compétences revisitées ». Cette terminologie absconse cacherait une vraie stratégie : calquer les régions judiciaires sur les nouvelles régions administratives pour permettre aux cours d’appel de plein exercice d’atteindre la « taille critique » évoquée dans un récent rapport de la Cour de cassation. Alors que la Cour des comptes plaide pour une réduction du nombre de juridictions du second degré, la Conférence nationale des premiers présidents préconisait, en juin dernier, une « rationalisation » de la carte à une vingtaine de cours de « taille pertinente ».
Les avocats sur le qui-vive
Avant la ministre, qui devait présenter jeudi ses « cinq chantiers » du quinquennat, Christophe Castaner, porte-parole du gouvernement, a tenté de désamorcer la grogne en assurant qu’« aucune décision n’était prise pour aucun tribunal ». Le président de la Conférence des bâtonniers, Yves Mahiu, assure pourtant disposer d’informations de nature à inquiéter certaines juridictions – dont Besançon. Une carte frappée du sceau « confidentiel » circule notamment sous les robes, sur laquelle les futures « grandes cours » sont entourées d’un trait gras. En Bourgogne-Franche-Comté, c’est la cour d’appel de Dijon qui apparaît cerclée et en gros caractère.
Le bâtonnier de Besançon (interview ci-contre), qui suit les événements comme le lait sur le feu, n’a pas encore sonné la mobilisation. Mais les professions judiciaires sont sur le qui-vive.