Dans le Nord de la France, cinq mois jour pour jour après le démantèlement de la «jungle» de Calais, les migrants désireux de rejoindre le Royaume-Uni reviennent lentement mais sûrement à Calais et Grande-Synthe, dernières escales avant leur supposé «Eldorado».
Il est 17 h. Comme chaque jour, Bernard se rend au point de rendez-vous, au Secours catholique de Calais. Là-bas, ce retraité recevra les indications restées confidentielles jusqu’ici, émanant d’associations. Elles tombent : ce 16 mars, le lieu de rassemblement sera le quai de la Loire, au centre. Dans son véhicule, Bernard embarque alors trois « bambinos » – mot qui désigne les mineurs – venus d’Érythrée. Une vingtaine de voitures se suivent, toutes transportant des migrants sur ce fameux quai, où les attendent des bénévoles pour une distribution de nourriture. « Ces jeunes ne connaissent rien de Calais. Sans les associations, ils seraient seuls, se perdraient et ne mangeraient pas. »
À Calais, les migrants reviennent lentement
Cinq mois après le démantèlement de la « jungle », des migrants, souvent très jeunes et majoritairement Soudanais, Éthiopiens, Érythréens, reviennent lentement et progressivement autour de la ville. Des nouveaux exilés passés par l’Italie, des anciens de la « jungle » de retour des Centres d’accueil et d’orientation (CAO) ou des personnes dont l’asile a été rejeté ailleurs en Europe. Ils sont estimés à plusieurs centaines, discrets, tentant d’échapper aux forces de l’ordre, omniprésentes pour empêcher l’instauration de nouveaux camps. Si certains Calaisiens agissent dans l’ombre, ces dernières semaines, pour venir en aide aux migrants, c’est qu’ils doivent s’adapter aux récentes décisions de la municipalité.
Début mars, la maire Les Républicains, Natacha Bouchart (1), qui refuse un « appel d’air », a signé un arrêté anti-rassemblement sur plusieurs secteurs de la commune (finalement suspendu, mercredi dernier, par le tribunal administratif de Lille). Les distributions de nourriture aux migrants étaient, de fait, dans le viseur. En conséquence, les lieux changent chaque jour.
« Il faut agir »
Assis, quai de la Loire, à 17 h 30, ils sont une soixantaine à engloutir leur repas sous les cris des mouettes. « Natacha Bouchart veut faire croire qu’il n’y a pas de migrants à Calais, ça n’a pas de sens », soulève Sylvain de Saturne, de l’association Auberge des migrants. Avec deux bénévoles, l’homme élancé est posté en sentinelle. « On doit guetter les venues des forces de l’ordre ».
La veille, des CRS ont débarqué, les migrants ont paniqué et déserté. « Malgré ça, nous voulons faire des distributions visibles pour montrer que le nombre de migrants augmente constamment, qu’il faut agir », insiste Sylvain.
« Cela recommencera au printemps »
Le regard sombre d’Abdallah (2) suit la voiture de la police municipale qui sillonne les alentours. Ce mineur Érythréen redoute les contrôles d’identité qui l’empêcherait d’atteindre son but ultime. Ce soir, encore, il va essayer de passer clandestinement dans un camion pour rejoindre le Royaume-Uni.
La France, dit-il, « n’est pas pour lui ». « J’ai été envoyé en octobre dans un CAO à Bagnères-de-Luchon (Haute-Garonne), j’ai tenu un mois. Tout ce que je veux, c’est l’Angleterre. Par la voie légale, ça ne marche pas. » Finalement, de Calais, son escale obligatoire, il ne voit pas grand-chose. « Je dors la journée et je « tente » la nuit. » Dans l’obscurité, Abdallah marche alors à travers bois et champs pour rejoindre les aires d’autoroute ou de la rocade, où se garent les poids lourds. Dans sa propriété qui borde cet axe routier, Jean-François Gratien, « respire » aujourd’hui. Il y a cinq mois, la « jungle » de 7.000 personnes s’imposait en face de son centre équestre. Le bidonville est maintenant une immense dune de sable vide. « Je n’ai pas d’hostilité envers les migrants mais ce n’était pas tenable, ils passaient ici, cassaient des barrières. » L’homme en est sûr : « Cela recommencera au printemps. Calais est le dernier port avant l’Angleterre. Forcément, les migrants reviendront ». Son secteur reste néanmoins très surveillé. « En face de chez moi, c’est devenu un bunker. » Un mur antimigrants a été érigé en décembre, pour 2,7 millions d’euros, par le Royaume-Uni.
Grande-Synthe, un camp sous influence
À une trentaine de kilomètres de Calais, des silhouettes se dessinent le long de cette même autoroute A16, à l’approche du camp de la Linière, situé sur la commune de Grande-Synthe. Entre septembre et mars, le nombre de personnes dans ce camp humanitaire, excentré, est passé de 700 à 1.500.
Les cabanons de bois, installés par la municipalité, qui est à l’origine de la création du lieu il y a un an, ne suffisent plus. La cuisine collective a été transformée en dortoir. Ici, pas d’Érythréens ou de Soudanais mais surtout des Kurdes ou des Afghans, hommes, femmes et enfants. D’après la police aux frontières ou la municipalité de Grande-Synthe, les passeurs ont une influence véritable sur le camp. « Il y a des rabatteurs. Et des membres de réseaux s’y rendent les soirs pour prendre en charge les « clients », comme ils les appellent, pour les faire monter dans les camions », détaille le capitaine de la brigade mobile de recherches, Vincent Kasprzyk. Le coût du passage de la Manche varie entre 5.000 et 10.000 euros.
Six mois de sursis
Hamid (2), 20 ans, traîne des pieds sous sa longue tunique noire. Cet Afghan dort dans le camp depuis deux semaines. « Il y a des tensions. La sécurité à l’entrée empêche les gens de rentrer, comme si, ici, c’était l’Angleterre ! », ironise-t-il. Les autorités ont récemment imposé un système de bracelets pour filtrer et limiter l’accès au lieu. Une décision qui a soulevé la colère chez certains : mi-mars, le poste de sécurité, à l’entrée du camp, a été incendié. Malgré les tensions, Emmanuelle Cosse, ministre du Logement, a finalement signé, le 17 mars, la prolongation de six mois de la gestion du camp.
Hamid, amer, ne tiendra pas si longtemps. Il renonce, répète que « l’Europe, c’est juste les camps, les camps, depuis un an que j’y suis. Ce n’est pas une vie. Je voulais surtout trouver du travail ». Pour lui, l’Eldorado, c’était l’Angleterre ou l’Allemagne. « Je suis resté huit mois à Francfort mais ma demande d’asile a été refusée. Mon frère, qui est en Angleterre, m’avait alors dit « passe par Calais, c’est possible ». Il avait tort. »
En 2001, lorsque ce dernier avait réussi le passage clandestin, il n’y avait pas tant de barbelés aux abords des routes. Hamid a essayé chaque soir, vainement. Maintenant, il serre fort une pochette plastique contenant son nouveau sésame. « C’est une demande pour rentrer en Afghanistan. Je serai en danger mais, au moins, je serai avec ma famille ».
Il a payé 9.300 euros aux passeurs pour fuir l’Afghanistan. L’Office français de l’immigration et de l’intégration lui remettra une aide au retour volontaire de 650 euros pour y retourner, dans sa province de Paktiya, au sud-est du pays.