Comment s’est préparée la rafle du Vél’ d’Hiv ?
On célèbre ce dimanche le 75e anniversaire de la rafle du Vél d’Hiv, la plus importante vague d’arrestations et de déportations de Juifs en France lors de la Seconde Guerre mondiale.
L’opération était initialement prévue entre les 13 et 15 juillet 1942. Mais, pour éviter qu’elle ne coïncide avec le jour de la fête nationale, elle fut décalée au 16 et au 17. Décidée par les autorités de Vichy, en accord avec l’occupant allemand, le 16 juin précédent, soit un mois avant son déclenchement, cette vague d’arrestations visait initialement à déporter 22 000 Juifs de la région parisienne.
13 152 personnes, dont plus de 4 000 de moins de 18 ans, furent finalement arrêtées et détenues au Vélodrome d’Hiver (le Vél’ d’Hiv, qui a donné son nom à cette rafle), au camp de la Muette à Drancy (Seine-Saint-Denis), mais aussi à celui de Pithiviers (Loiret). Compte tenu de l’ampleur du projet, 6 000 agents de police furent mobilisés pour ces deux journées.
Plus de deux mois de préparation
Tout commence le 6 mai 1942, lorsque René Bousquet, nommé quelques jours plus tôt secrétaire général de la police (un intitulé qui correspond au poste d’adjoint au ministre de l’Intérieur, par ailleurs chef de gouvernement : Pierre Laval), rencontre Reinhard Heydrich, le chef du RSHA, l’Office central de sécurité du Reich (qui sera abattu quelques jours plus tard à Prague). Bousquet, jeune et ambitieux préfet de 33 ans, apprend à cette occasion que les Allemands projettent de déporter plus de 100 000 Juifs vivant en France, en Belgique et aux Pays-Bas au cours de la seule année 1942.
Découlant de la mise en application des décisions prises sur la « Solution finale » voulue par Hitler lors de la conférence de Wannsee du 20 janvier 1942, cette opération, baptisée « Vent printanier », marque le début de la mise en place d’une politique industrielle d’extermination des Juifs.
Le concours de l’administration française
Le gouvernement français accepte de prêter main-forte à ce projet criminel. Les Allemands n’entendaient, au départ, déporter que les Juifs de 16 à 55 ans. Pourtant, Pierre Laval propose d’abaisser cette limite d’âge à 2 ans et d’autoriser la déportation des hommes jusqu’à 60 ans.
Le 26 juin 1942, lors du conseil des ministres qui se tient à Vichy, le chef du gouvernement annonce que Jean Leguay, adjoint de René Bousquet pour la zone occupée, a été convoqué, la veille, par Theodor Dannecker, conseiller SS aux Affaires juives. Ce dernier, chargé de mettre en œuvre la « Solution finale » à l’échelon français, réclame la livraison de 10 000 Juifs de zone sud et l’arrestation de 40 % de Français (parmi les 22 000 qui doivent être arrêtés dans les seuls départements de la Seine et de la Seine-et-Oise).
Pierre Laval et René Bousquet valident cette demande. Quatre jours plus tard, Adolf Eichmann, de passage à Paris, donne à Dannecker des instructions précises « en vue de libérer totalement et le plus vite possible la France des Juifs ». Ces informations sont répercutées au chef de l’État Philippe Pétain.
Le 2 juillet 1942, René Bousquet accepte officiellement de mettre les fonctionnaires de son ministère au service de l’occupant. En échange, il obtient la promesse de diriger un « corps de police unifié », indique Jean-Marc Berlière, historien spécialiste de la police. Le 18 juin précédent, il avait indiqué au général Carl Oberg, commandant supérieur de la SS et de la police allemande en France : « Vous connaissez la police française. Elle a sans doute ses défauts, mais aussi ses qualités. Je suis persuadé que, réorganisée sur des bases nouvelles et énergiquement dirigée, elle est susceptible de rendre les plus grands services. Déjà, dans de nombreuses affaires, vous avez pu constater l’efficacité de son action. Je suis certain qu’elle peut faire davantage encore. »
Le 3 juillet, au cours d’un nouveau conseil des ministres, Pierre Laval évoque à nouveau à demi-mot l’opération en demandant que le recensement des Juifs français, effectué en octobre 1940, soit mis à jour.
Le 4 juillet, un « groupe de travail » présidé par le commissaire général aux Questions juives, Louis Darquier de Pellepoix, est mis en place. Il réunit les responsables des services administratifs qui devront préparer les rafles des 16 et 17 juillet. Une campagne de propagande est envisagée pour justifier auprès de l’opinion publique une opération qui risque de « choquer ».
Quand des volontaires prêtent main-forte
Le 7 juillet, c’est dans les bureaux de la police SS, situés au 31bis, avenue Foch, que se tient une réunion cruciale d’« organisation ». Y assistent l’adjoint de Dannecker (Ernst Heinrichsohn), mais aussi des Français : Darquier de Pellepoix et Pierre Gallien (CGQJ), Jacques Schweblin, directeur de la Police des questions juives, Jean François, directeur de la police générale à la préfecture, André Tulard, directeur du service des Étrangers et des Affaires juives de la préfecture de police (qui a travaillé à la mise en place d’un fichier juif qui sera fréquemment utilisé pour traquer les familles). Émile Hennequin, directeur de la police municipale, est accompagné du commissaire Georges Guidot.
Il est indiqué que des volontaires du Parti populaire français (PPF) de Jacques Doriot assisteront les Allemands chargés d’interpeller les Juifs français. Parmi eux figurera Victor Barthélemy, numéro deux du PPF et qui, trente ans plus tard, participera à la fondation du Front national. Il est convenu que le coup de filet sera lancé à l’aube. Les Juifs doivent être arrêtés, dès 5 heures du matin, à leur domicile, puis être « triés » dans des centres de rassemblement. Leur sort final est-il évoqué à cette occasion ? Leur déportation semble évidente : ils ne sont autorisés à n’emporter qu’une seule valise.
Le compte à rebours est lancé
Le 10 juillet, une dernière réunion préparatoire se déroule au siège du Commissariat général aux Questions juives (1, place des Petits-Pères). Est présent Theodor Dannecker, mais aussi Heinz Röthke qui va lui succéder. On compte également Heinrichsohn, Leguay, Gallien, ainsi que des représentants de la SNCF, de la police municipale et de l’Assistance publique puisque la rafle implique des risques sanitaires. L’un des participants à cette réunion suggère que des seaux « hygiéniques » soient installés dans les trains pour permettre aux déportés de se soulager pendant leur voyage vers l’Est.
Le matin du 15 juillet, le préfet de police Amédée Bussière convoque les commissaires parisiens pour leur rappeler que la police municipale a renforcé les services de l’Est parisien, « à forte implantation juive ». Et qu’une cinquantaine d’autobus de la Compagnie des transports en commun de la région parisienne (CTCRP, ancêtre de la RATP) sont mis à leur disposition pour le transfert des personnes arrêtées. Dix autocars aux vitres grillagées ont été réquisitionnés pour les « récalcitrants ». Bussière leur transmet les dernières consignes. Elles sont strictes : ne pas discuter les ordres, fermer les compteurs d’eau et de gaz des appartements visités, confier les animaux et les clés à la concierge ou au voisin, emmener les enfants, même de nationalité française.
Le sort des enfants
Des assistantes sociales sont convoquées le même jour. On leur explique qu’elles devront prendre en charge, pendant quelques jours, quelque 400 enfants. Ils seront en réalité plus de 4 000…, dont 800 de moins de six ans. Le 17 juillet, décision est prise de les acheminer, seuls, vers les camps d’internement de Pithiviers et de Beaune-la-Rolande, d’où ils seront transférés vers les camps d’extermination de Pologne, début août.