Comment Tariq Ramadan faisait taire ses victimes et les musulmans modérés
VIDÉO. Plusieurs femmes hésitent toujours à porter plainte contre l’islamologue. De puissants réseaux continuent de les menacer.
DE NOTRE CORRESPONDANT À GENÈVE, IAN HAMEL
Durant sa garde à vue, Tariq Ramadan a été déstabilisé par un tout petit fait. Lorsque « Christelle », sa victime, révèle la présence d’une cicatrice entre le sexe et l’aine, à droite. Comment aurait-elle pu connaître ce détail intime alors que le professeur d’études islamiques contemporaines à Oxford prétend n’avoir eu qu’une conversation de vingt à trente minutes portant sur la religion avec la jeune femme ? À présent, sur les réseaux sociaux, les pro-Ramadan donnent une explication : l’islamologue est espionné par des caméras dans les chambres d’hôtel. La police aurait pu apercevoir la cicatrice et mettre « Christelle » dans la confidence… Bref, Tariq Ramadan est bien victime d’un complot.
Pour évoquer le parcours de Tariq Ramadan, cette importante personnalité de la communauté musulmane à Genève utilise deux qualificatifs qui, habituellement, ne se marient guère : « victime » et « conquérante ». « Il fait croire qu’il est persécuté par les juifs, par les services de renseignements, par les islamophobes du monde entier. Et malheureusement, ça marche auprès de beaucoup de jeunes musulmans, qui le prennent pour un nouveau prophète. Ce qui lui a permis de partir à la conquête des banlieues françaises. » Malgré son aura parmi les musulmans sur les bords du lac Léman, notre interlocuteur préfère conserver l’anonymat. « Car les Ramadan et les Frères musulmans peuvent vous pourrir la vie », dénonce-t-il.
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Des messages de faux avocats
Une ancienne victime de Tariq Ramadan, qui hésite encore à répondre aux sollicitations des enquêteurs, raconte que, même après le dépôt des deux plaintes pour viol fin 2017, l’islamologue l’a contactée à deux reprises pour la mettre en garde. « Il n’y a pas que les menaces, les intimidations. Ramadan peut aussi utiliser des procédés fumeux pour vous impressionner : vous recevez des missives d’avocats qui vous annoncent le dépôt d’une plainte et évoquent les fortunes en dommages et intérêts que vous risquez de devoir payer. Ces avocats se disent domiciliés à Paris, Bruxelles ou Genève. Mais en fait, ils sont introuvables », raconte l’ancienne victime.
L’auteur de L’Islam et le Réveil arabe peut aussi compter sur des guetteurs, en permanence sur la Toile. Ils harcèlent non seulement les femmes abusées, mais aussi les intellectuels musulmans qui ne partagent pas les convictions du petit-fils d’Hassan al-Banna, le fondateur des Frères musulmans. « Les insultes ? Je ne prends même plus le temps de les lire », raconte l’ancien universitaire Mohamed-Chérif Ferjani. Son crime ? Dans son livre Le Politique et le Religieux dans le champ islamique, il révélait que Tariq Ramadan truquait les écrits de son grand-père afin d’occulter le caractère militaire et violent des Frères musulmans en Égypte.
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Ramadan menace son jury de thèse
Dominique Avon, agrégé d’histoire et licencié d’arabe, s’étonne de la légèreté du bagage universitaire de Tariq Ramadan. Dans son livre, Muhammad, vie du Prophète, ce dernier n’hésite pas à écrire qu’Adam est un prophète… « Adam est une figure mythique, aucun autre universitaire un peu sérieux n’oserait écrire ce genre de choses », constate Dominique Avon. Seulement voilà, bien peu d’universitaires osent s’en prendre à Tariq Ramadan, de peur d’être ensuite harcelés par des dizaines d’anonymes toujours menaçants.
« Le but est de créer un climat détestable et de tout faire pour empêcher les musulmans qui ne partagent pas les idées de Ramadan de s’exprimer », lâche Haoues Seniguer, maître de conférences en sciences politiques à Sciences Po Lyon. Il y a deux décennies, Tariq Ramadan, encore peu connu, avait déjà menacé son jury de thèse à Genève qui refusait de cautionner son hagiographie sur Hassan al-Banna. « Directeur de thèse pendant quarante ans, je n’ai jamais vu un étudiant se conduire de la sorte », déplorait Ali Merad, alors professeur émérite à l’université de la Sorbonne et auteur d’ouvrages de référence sur l’islam.
Les victimes ? Des « frustrées »
Le socialiste Jean Glavany, ancien ministre de l’Agriculture et de la Pêche, a lui aussi été couvert d’insultes, alors qu’il était député, pour avoir critiqué Tariq Ramadan. Plus récemment, Nadia Karmous, présidente de l’Association culturelle des femmes musulmanes de Suisse, a osé traiter de « frustrées » les victimes présumées de Tariq Ramadan. Ajoutant que, s’il n’y avait pas autant de discriminations vis-à-vis des musulmans, l’islamologue aurait reçu le prix Nobel…
Alors, pourquoi, depuis toutes ces années, le directeur du Centre de recherche sur la législation islamique et l’éthique à Doha (Qatar) a-t-il bénéficié d’autant de mansuétude ? Des dizaines, et plus certainement des centaines de personnes, ont été agonies d’injures, souvent à caractère antisémite, menacées de mille morts. Plus modestement, pour un texte qui n’avait apparemment pas plu à Tariq Ramadan, l’auteur de cet article se voyait honoré, par écrit, de 35 messages injurieux. Sans compter les invectives par téléphone. Anonymes, bien évidemment.