COMMENTAIRE. Hommage à Arnaud Beltrame: le langage de la résistance, le défi de la cohésion
Le président de la République a présidé ce mercredi la cérémonie d’hommage national en l’honneur d’Arnaud Beltrame, le gendarme qui s’est sacrifié pour sauver une otage lors de la triple attaque terroriste dans l’Aude, vendredi. Dans son discours, il a notamment cité de grands noms de l’histoire de France. Notre confrère Laurent Marchand analyse son discours.
Citer dans un même discours Brossolette, De Gaulle et Jean Moulin. Convoquer Jeanne D’Arc, la guerre de Cent ans et la Résistance au nazisme. Emmanuel Macron a évité de qualifier l’ennemi par des analogies trompeuses, mais le parallèle en creux était manifeste. En célébrant aujourd’hui la mémoire d’Arnaud Beltrame, c’est à un combat que le président de la République a voulu convoquer la nation. Un combat de plus dans une longue histoire, un combat nouveau.
La droite lui reprochait d’être timoré sur l’islamisme, ce discours lève toute supposée ambiguïté. Emmanuel Macron estime que la France, « le camp de la liberté », est aujourd’hui confrontée à « un obscurantisme barbare » dont le programme n’est autre que « l’élimination de nos libertés et de nos solidarités ».
Il précise que « ce ne sont pas seulement les organisations terroristes, les armées de Daesh, les imams de haine et de mort que nous combattons. Ce que nous combattons, c’est aussi cet islamisme souterrain, qui progresse par les réseaux sociaux, qui accomplit son œuvre de manière invisible, qui agit clandestinement, sur des esprits faibles ou instables, trahissant ceux-là mêmes dont il se réclame, qui, sur notre sol, endoctrine par proximité et corrompt au quotidien. »
Dont acte. Le danger islamiste n’est pas sous-estimé. Il est décrit et qualifié pour ce qu’il est. « Un ennemi insidieux, qui exige de chaque citoyen, de chacun d’entre nous, un regain de vigilance et de civisme ». Et pour Macron, la meilleure réponse à cette menace n’est pas de sauter à pied joint dans le piège du conflit de civilisation, de la guerre de religion. Mais d’identifier l’ennemi, de mobiliser chaque citoyen et toute la société. Car ce combat, qui se joue à la fois hors de France et sur le sol de l’Hexagone, doit être mené autant par les forces de l’ordre que « par la cohésion d’une Nation rassemblée ». Avec calme, pour reprendre ses termes.
Déjouer le piège islamiste
C’est là toute l’immensité de la tâche. Car la France frappée par les islamistes est un pays traversé par de nombreuses fractures. Sociales, territoriales, culturelles. Ces fractures ne sont pas nouvelles, ce qui l’est davantage c’est leur impact dans le corps social. Le morcellement de la société induit par la crise économique et les nouvelles technologies de communication et d’agrégation est sous les yeux de tout le monde. Dans un tel contexte, le particularisme devient une arme. Les stratèges du djihadisme le savent et l’utilisent pour faire basculer des individus psychologiquement fragiles, pour faire basculer des quartiers entiers dans une radicalité qui s’étale sous nos yeux.
Le diagnostic d’Emmanuel Macron, qui fait de l’unité et de la cohésion la meilleure réponse à apporter à une telle attaque, est certainement le bon. Les islamistes recherchent plus que tout à creuser une frontière au sein de la société française, entre musulmans et non musulmans. Répondre par la voix identitaire serait leur faciliter la tâche.Arnaud Beltrame est en cela un double modèle. Un exemple de courage, absolu et évident. Mais aussi un exemple de cohérence avec des principes républicains et d’engagement personnel à leur service.
C’est sur ce terrain que la société peut se montrer invincible. Cela dépend de chacun, mais cela dépend aussi de toute la classe politique qui doit combattre le radicalisme, et non s’en servir.
Dans l’Italie du terrorisme des années de plomb, c’est par l’unité politique et syndicale que la violence terroriste, qui frappait à l’aveugle, fut vaincue. Il y a beaucoup d’analogie à faire avec le mélange d’idéologie et de radicalisme qui caractérise l’ennemi djihadiste, qui n’est plus seulement un ennemi de l’étranger mais une menace de l’intérieur. Ce n’est pas en érigeant un camp politique contre un autre, ou la société contre l’État, que l’on peut espérer éteindre cet incendie. Mais en renforçant le ciment des valeurs qui unissent secrètement, à une écrasante majorité, l’essentiel de notre société.