Cour des comptes : les incroyables insuffisances des activités privées de sécurité
Certaines missions de sécurité sont externalisées afin de redéployer des effectifs de police et de gendarmerie. Au détriment de la qualité de la protection.
PAR BEATRICE PARRINO
C’est une première pour la Cour des comptes. Compte tenu de la menace terroriste et de la montée en puissance d’acteurs privés dans la sécurité publique, elle a réalisé une enquête sur ce secteur.
En termes d’effectif, les sociétés privées de sécurité représentent l’équivalent de plus de la moitié des forces de l’ordre (167 800, contre 281 523). Les activités privées de sécurité pèsent 6,6 milliards d’euros de chiffre d’affaires, dont 26 % dépendant de donneurs d’ordre publics, dans un cadre contraignant.
Prix cassés
Dans leur rapport annuel, les sages de la Rue Cambon s’inquiètent d’un « secteur marqué par des fragilités économiques et sociales ». Il apparaît que sa rentabilité est très limitée – 1 % – et que, du fait de l’atomisation des acteurs, les prix, et donc les salaires, sont tirés vers le bas. « Principale faiblesse du secteur, cette situation constitue aujourd’hui un obstacle à une montée en compétence et à une meilleure qualité de service rendu », indique la Cour. « Les donneurs d’ordre publics entretiennent la faible qualité des prestations fournies en retenant fréquemment à l’issue des appels à la concurrence les entreprises moins-disantes, et pas forcément les mieux-disantes », poursuit-elle.
Conséquence : certaines prestations fournies ne sont pas au niveau attendu. Comme cela a été le cas lors de l’Euro 2016 en France, avec des agents dépourvus d’autorisation professionnelle, par exemple. Ou encore la surveillance aux abords d’une gare parisienne, qui avait été confiée à des agents cynophiles non formés, et parfois en situation irrégulière.
Frontière floue
Certaines missions de sécurité publique, comme la garde de préfecture, sont externalisées afin de redéployer des effectifs de police et de gendarmerie (587 emplois). Ce « mouvement d’externalisation ne s’inscrit pas dans une stratégie coordonnée et une méthode rigoureuse », regrette la Cour.
Les magistrats financiers appellent donc à un renforcement du pilotage par l’État, en particulier dans la coordination entre acteurs privés, police et gendarmerie, qui, parfois, cohabitent sur le terrain sans délimitation claire de leurs compétences.
Ils s’intéressent également au rôle du Conseil national des activités privées de sécurité (Cnaps), établissement public qui chapeaute le secteur, mais qui s’apparente à un ordre professionnel. « Du fait de la gouvernance actuelle du Cnaps, l’État n’est pas assuré de disposer de la pleine maîtrise des orientations adoptées par le collège, qui déterminent pourtant les conditions d’accomplissement de la régulation des activités privées de sécurité », précise la Cour, qui s’inquiète de la quasi-absence de sélection des demandes de titre pour l’exercice de la profession.
Laxisme
« La Cour a pu noter que l’analyse des conditions d’entrée dans la profession s’inscrit plus dans une démarche d’aide au retour à l’emploi que dans une logique d’exigence de moralité et de professionnalisme. »
Ainsi, en Île-de-France, n’est pas jugé incompatible avec la profession le fait d’avoir été condamné pour des délits routiers (conduite sans permis, sans assurance et en état alcoolique ; blessures involontaires), pour violences conjugales, outrage à personne dépositaire de l’autorité publique, escroquerie, rébellion, abus de confiance, faux, usage de faux. Un individu s’est ainsi vu délivrer un titre d’exercice alors qu’il avait été signalé pour… 31 faits différents.
La vérification de l’aptitude professionnelle des demandeurs de titre s’avère purement formelle : il suffit de présenter un certificat ou une attestation. La Cour souligne le risque élevé de fraude documentaire et d’usurpation d’identité. D’ailleurs, une information judiciaire est en cours à ce sujet. Un agent du Cnaps aurait modifié des fichiers contre rémunération. La Cour appelle donc à l’élaboration d’une « doctrine » sur les conditions d’entrée dans la profession.
Et elle « conclut à la nécessité pour l’État, à tout le moins, de renforcer sa place au sein du Cnaps en vue d’un effort accentué de régulation sans préjudice d’une réflexion à mener sur l’avenir de cet établissement chargé d’une mission de police administrative ».
Consultez notre dossier : La cour des comptes