De braqueur à terroriste : sur les traces d’Amedy Coulibaly
Il était surnommé « Doly de Grigny » par ses potes dans son premier quartier de l’Essonne. Il deviendra « Hugo la masse » en prison, ainsi appelé par ses co-détenus pour son culte du corps et du sport. Il sera, pour les enquêteurs, « un petit paumé qui voudra devenir un super héros ».
Pour les Français, Amedy Coulibaly est d’abord le tueur de l’Hyper Cacher, et un jour avant, de Clarissa Jean-Philippe, à Montrouge. A son actif : cinq morts et plusieurs blessés lors de ses deux attaques terroristes. Retrouvez ici le parcours de ce braqueur devenu terroriste.
Radicalisation en couple
Qu’a-t-il fait entre le 4 mars 2014, jour de sa sortie (1) avec un bracelet électronique de Fleury-Mérogis, où il a côtoyé un certain Chérif Kouachi, et s’est radicalisé auprès du franco-algérien Djamel Beghal (2), maître à penser du terrorisme en France, et le 11 janvier 2015, jour de l’attaque dans l’hypermarché juif de Vincennes ? Le trentenaire français d’origine malienne, seul garçon d’une famille de dix enfants, poursuit, discrètement, sa radicalisation. Il vit alors chez sa compagne Hayat Boumeddiene, épousée religieusement le 5 juillet 2009. C’est elle qui loue un appartement dans la résidence Marx-Dormoy, à Fontenay-aux-Roses (92). « Elle était aidée par le CCAS, elle touchait le Fonds de solidarité logement et n’était pas encore voilée », se souvient quelqu’un de la mairie.
Coulibaly reçoit encore du courrier
A cette époque-là, le couple reçoit beaucoup de courriers. Enormément. Parfois de l’étranger. « Il en reçoit encore », confie même un voisin. Il faut dire que tous les deux ouvrent de très nombreux comptes bancaires, constitués à base de fausses fiches de paie. Ils parviendront à obtenir 25 000 euros de prêts, utilisés pour en grande partie pour se fournir en armes. Ils achètent aussi en fin d’année une voiture qui servira à se rendre à Vincennes le jour J. D’autres personnes de la résidence le trouvent « sympa », une dame le décrit « beau gosse ». La concierge de la résidence, elle, ne veut plus parler aux journalistes, elle a toujours du mal « à se remettre du choc ».
Le joggeur blessé sur la Coulée verte
Officiellement en liberté le 15 mai 2014 après une conduite « quasi-exemplaire », selon les services pénitenciers, Coulibaly se fond dans la masse. Au café « La coulée douce », à quelques mètres de sa résidence, on ne se souvient pas l’avoir vu. A part peut-être, déjà, sur le chemin de jogging de la Coulée verte, à proximité immédiate. « C’était peut-être ce couple qui courait, elle vêtue de la tête aux pieds, ce n’est pas facile pour courir », s’étouffe une propriétaire de chiens au comptoir. C’est surtout sur ce même sentier sportif, à quelques centaines de mètres plus bas qu’un joggeur de 32 ans sera très grièvement blessé le soir des attentats de Charlie Hebdo.
Avec le même pistolet Tokarev que celui utilisé par Coulibaly à l’Hyper Cacher. Le terroriste s’entrainait-il à tirer sur un coureur, comme l’ont supposé les enquêteurs ? La victime a varié dans ses dépositions, estimant dans la dernière en date que « ce n’était pas un homme de couleur qui lui avait tiré dessus ». Le rapprochement entre ces tirs et l’attaque de l’Hyper Cacher sera fait le samedi 10 janvier, mais de nombreuses zones d’ombres persistent autour de cet événement passé presque inaperçu.
Une mosquée salafiste
En 2008 et 2009, le couple Coulibaly-Boumeddiene se prélasse en bikini sur des plages exotiques du bout du monde (Malaisie, République dominicaine…), comme en attestent des photos retrouvées par les enquêteurs. Mais, en 2010, dans le Cantal, pour une visite à Djamel Beghal, la jeune femme porte le niqab et tire à l’arbalète. Et en septembre 2014, ils partent tous deux en pèlerinage à la Mecque, pour le « hajj ».
Un temps, Hayat Boumeddiene est caissière au Franprix, supermarché au centre de Fontenay, mais son insistance à porter le niqab l’évince de facto de son emploi. Son époux discret, lui, arbore un look moins exubérant que les années post-prison. A-t-il fréquenté la « sulfureuse » salle de prières salafiste de Fontenay-aux-Roses, sous « surveillance » policière ? Des sources bien informées affirment que oui. Un lieu sur lequel pèsent des soupçons de radicalisation. « J’ai prôné dès le début la fermeture de cette salle salafiste », s’inquiète Dominique Lafon, actuel adjoint au maire de cette commune de 20 000 habitants, mais qui était en charge de la sécurité pour l’ancienne municipalité.
La base arrière à Gentilly
Dans l’ombre, début 2015, Amedy Coulibaly, fomente avec les frères Kouachi les attaques de janvier 2015. Ces 72 heures de terreur. Ils se coordonnent par messages via les téléphones de leurs compagnes. Cinq cents SMS en quelques mois. La base arrière de l’ancien braqueur tient en quelques kilomètres dans la banlieue sud : Fontenay-aux-Roses, Bagneux où il a encore des connaissances (et où a été torturé Ilan Halimi par le sinistre gang des Barbares, Ndlr) et Gentilly, pour « l’appartement conspiratif ».
C’est dans une rue paisible, presque coquette, de cette commune limitrophe de Paris, entre RER et périphérique, qu’il utilise un petit logement récemment réhabilité pour stocker son arsenal : détonateurs, pistolets automatiques. Ainsi que des moyens de communication qui lui permettront d’enregistrer sa vidéo de revendication au nom de l’Etat islamique. Cette planque sera localisée et investie le samedi 10 janvier, en pleine nuit, par les forces de l’ordre. « On avait d’abord pensé à un incendie », sourit un voisin retraité, « mais jamais à ça…On a vu des journalistes défiler durant quatre jours ». Avait-il depuis Gentilly planifié l’attaque d’une école juive à Montrouge, à seulement quelques encablures de là ? A-t-il échoué ce jeudi 8 janvier au petit matin ? Sa première victime sera la policière municipale Clarissa Jean-Philippe, qui tentera de s’interposer.
Le petit et le grand traumatisme
Dans ce périmètre géographique restreint, le hasard ( ?) relie les deux massacres de janvier et de novembre 2015. Le fuyard Salah Abdeslam a en effet été aperçu la nuit du 13 novembre au Mc Donalds de Chatillon, son téléphone a borné à la station de métro Chatillon-Montrouge et sa ceinture explosive a été abandonnée dans une petite ruelle proche. A seulement quelques centaines de mètres de l’endroit où la jeune policière a été abattue. Comme si cette banlieue sud de Paris (3) abritait un terreau terroriste. La présence de Coulibaly à Fontenay-aux-Roses les derniers mois avant Charlie Hebdo et l’Hyper Cacher a conduit la police a augmenté sa présence dans la commune, mais, un an après, elle n’est plus très visible. « Tout ça a renforcé le sentiment d’insécurité dans notre ville habituellement relativement paisible », reconnaît l’élu communal, Dominique Lafon, « c’est un petit traumatisme communal dans le grand traumatisme national ».
(1) Amedy Coulibaly avait été condamné à 5 ans de prison le 20 décembre 2013. Mais comme il a déjà purgé quatre ans de détention provisoire pour avoir participé à la tentative d’évasion de Smaïn Aït Ali Belkacem, l’un des auteurs de la vague d’attentats de 1995 en France, il bénéficie d’une libération anticipée. Sa peine se termine officiellement le 15 mai 2014
(2) Incarcéré au centre pénitentiaire du Vezin, près de Rennes, il purge une peine de 10 ans de prison et a été déchu en 2006 de sa nationalité française.
(3) Salim Benghalem, condamné jeudi à 15 ans de prison en son absence, est originaire de Cachan (Hauts-de-Seine), non loin de là.