Des mendiants battus et saoulés: un réseau international d’esclavagisme moderne démantelé à Toulouse
Cinq familles bulgares, originaires de la région de Pleven au nord de la Bulgarie, composent le réseau international d’exploitation de la mendicité démantelé, ce mardi 5 juin, à Toulouse. Alors que les présentations au palais de justice à Toulouse se poursuivent après le coup de filet des policiers de la sûreté départementale dans un campement de Roms bulgares, chemin de Gabardie, on en sait davantage sur l’organisation et la structure de ce réseau. Une organisation clanique qui recrutait des hommes et des femmes en situation précaire et parfois handicapés dont quatre membres ont pour le moment été écroués.
« On leur promettait de gagner de l’argent en France par la mendicité et de partager les gains. Mais en réalité, ces promesses se transformaient en régime de terreur lorsqu’ils arrivaient à Toulouse », précise le commissaire Karim Fillali, patron de la sûreté départementale.
Les promesses de vie meilleure n’étaient qu’un leurre
À Toulouse, ces Bulgares rejoignaient le camp de Roms, chemin de Gabardie, dans la zone de Gramont, où les promesses de vie meilleure n’étaient qu’un leurre. Délestés de leur papier d’identité, ils étaient postés sur différents carrefours de la ville (Ponts-Jumeaux, Minimes, Barrière de Paris, Gramont) et étaient tenus de rapporter de l’argent en mendiant.
Ils disposaient d’un téléphone portable pour qu’ils puissent être joints par un chef de clan. Si l’argent récolté sur la tranche horaire 7 heures-21 heures n’était pas suffisant, ils étaient battus et violentés. En mai 2017, une première plainte d’un mendiant atterrit au commissariat. Cette victime explique qu’elle est battue et menacée par des gens du camp qui les obligent à mendier.
Des « caïds » qui font régner une véritable terreur à l’intérieur du bidonville
Les premières investigations débutent mais de nombreux obstacles, notamment la barrière de la langue et l’omerta d’autres mendiants ne permettent pas aux enquêteurs de récolter suffisamment d’éléments. Fin 2017, d’autres témoignages et des recoupements viennent enrichir le dossier qui prend alors une tout autre ampleur. Les enquêteurs de la brigade criminelle et de répression des atteintes aux personnes (BCRAP) se lancent dans un véritable travail de fond, filatures, écoutes téléphoniques et surveillances poussées. Ils établissent l’existence de cinq familles, cinq clans, qui ont placé sous leur coupe des dizaines de mendiants contraints de récolter, dans les rues, aux feux rouges entre 30 et 400 € par jour.
Des fiches de comptabilité sont tenues par ces « caïds » qui font régner une véritable terreur à l’intérieur du bidonville de Gabardie où vivotent près d’une centaine de Bulgares dans des conditions indignes. Les clans s’échangent les mendiants et se les revendent pour 500 €.
Chaque famille tient son point de vente et exerce une emprise mentale et physique sur leurs « esclaves », selon des pratiques dignes d’un autre âge. Des victimes contraintes de boire de la vodka frelatée pour les diminuer physiquement. L’une d’elles avait été attachée toute une nuit et battue avec des gaines électriques. Une voiture a roulé volontairement sur un homme à deux reprises à l’intérieur de ce camp aux allures de no man’s land.
Onze personnes âgées de 20 à 60 ans ont été interpellées
« Ce que nous avons découvert était terrifiant », poursuit le commissaire Fillali, soulignant le travail solide de ses enquêteurs et leur persévérance. Riche de ces éléments, le parquet de Toulouse ouvre une information judiciaire en avril dernier pour « traite d’êtres humains, blanchiment aggravé et exploitation de la mendicité en bande organisée ». Une qualification criminelle.
Mardi 5 juin, le démantèlement de ce réseau a permis de saisir de l’argent issu de la mendicité et des registres de compte. Pas moins de 160 policiers dont 110 enquêteurs de la sûreté départementale se sont déployés sur les lieux avec l’aide de la brigade canine et d’un hélicoptère de la gendarmerie. Au total, onze personnes âgées de 20 à 60 ans ont été interpellées. Certaines faisaient des allers et retour en Bulgarie pour acheminer des liasses de billets, fruit de la mendicité forcée. Les petites pièces récoltées aux feux rouges étaient au préalable échangées auprès des commerces en billets. En Bulgarie, ces clans familiaux disposeraient de luxueuses voitures.
Le groupe d’intervention régional (GIR) a été sollicité dans cette enquête pour prendre en charge le volet patrimonial. Sur les 33 mendiants victimes, figure un enfant de 7 ans. Toutes ces personnes ont été prises en charge par la préfecture de Haute-Garonne et les autorités consulaires bulgares qui préparent d’ores et déjà le rapatriement de la quasi-totalité des mendiants volontaires pour repartir en Bulgarie. Loin de la violence et du calvaire enduré.