Digne : la délinquance en ville, une réalité ou un simple sentiment ?
« La Provence » a enquêté dans les rues de la cité Gassendi, où certains riverains font part de leur sentiment d’insécurité
À en croire le groupe « Les Dignois d’abord » qui parle « d’agressions en tout genre, vols et meurtres », et les Dignois tout court, la délinquance serait en forte hausse dans notre ville.
Les policiers qui s’y frottent au quotidien ne partagent pas forcément cet avis. Selon les quelques agents qui ont bien voulu répondre à nos questions, celle-ci n’augmenterait pas. Elle proviendrait de « quelques faits ponctuels qui peuvent se produire n’importe où, et qui font qu’on a l’impression d’être dans l’insécurité. Mais c’est juste un sentiment ».
Sentiment exacerbé par les risques d’attentats.
Un « concours de circonstances »
Après avoir travaillé à Marseille, ce policier assure que « Digne reste une ville très tranquille« . Et si plusieurs homicides y ont été commis ces derniers temps, « c’est un concours de circonstances« . Selon lui, il y avait autant de faits délictueux avant, mais ceux-ci ont été « pris en compte différemment par certains chefs… Sur les violences sur personne par exemple, des plaintes n’étaient pas prises. On louait donc le merveilleux travail de la police, ironise-t-il. Et lorsque d’autres officiers donnent la réalité des chiffres, les statistiques ne peuvent qu’augmenter, puisqu’on cachait la moitié des choses ».
Il poursuit : « Nous avons actuellement un directeur qui favorise l’action immédiate. On bouge plus. Même si c’est un coup d’épée dans l’eau, ça rentre dans les statistiques. »
Une délinquance linéaire
« À Digne, la délinquance est linéaire, on n’a pas vraiment de pics. De temps en temps, lors de vols à l’arraché par exemple, on récupère le dernier arrivé et souvent, c’est lui. C’est tellement facile, qu’il tente« , constate une policière.
Si tout est fait pour assurer la sécurité des Dignois, il y a toutefois des limites, et il semble que ce soit au niveau des effectifs que le bât blesse.
« On a les mêmes effectifs qu’il y a vingt ans. Merci M. Sarkozy qui en a supprimé, et merci M. Hollande qui n’a rien fait derrière ! », peste ce fonctionnaire.
« Heureusement que dans la police dignoise et manosquine, on est toujours aussi volontaire. On n’a pas craqué complètement. Le boulot est toujours fait, alors qu’on est gavé de missions (renforts sur l’Euro à Nice, Tour de France à Marseille), avec de moins en moins d’effectifs ».
Son collègue poursuit : « Il y a un malaise grandissant dans notre profession. Ça devient presque une souffrance d’aller travailler. Le contexte terroriste y est pour beaucoup aussi« .
Le commissariat a également perdu les renforts d’élèves (10 à 12 parfois) en fin de scolarité. « Pour eux c’était un bon exercice, et ils étaient à la fois sur le terrain à nos côtés« .
Des citoyens affirment avoir été confrontés à un refus de prise de plainte ou de main courante. Qu’en est-il ? « Pas les mains courantes, car elles ne rentrent pas dans les statistiques, mais c’est vrai pour certaines plaintes« , se désole celui qui incite les gens à écrire. Il précise que le commissariat est également tenu de recevoir les plaintes de Dignois victimes d’un délit commis ailleurs que dans notre ville.
En attendant, que les statistiques soient réelles ou édulcorées, délinquance et incivilités sont une réalité. Et ce ne sont pas les Dignois qui ont vécu de mauvaises expériences qui diront le contraire.
« On se fait insulter »
Du Pied-de-Ville à la vieille ville, des riverains et des commerçants se plaignent de rassemblements de jeunes délinquants. Des gens d’ici. « Mais le problème, c’est « quoi faire ? », se désole ce policier. Il y a quelques années, on arrivait à les disperser. Aujourd’hui, on n’intimide plus personne. À la limite, on se fait insulter. » Pourtant, régulièrement des gens sont interpellés. « Après des mois d’enquête, des réseaux tombent. Mais rapidement, d’autres personnes vont former un autre réseau. Après, c’est une question de volonté politique ».
« À Manosque, il y a à présent quelques quartiers où la police a des difficultés à rentrer. À Digne, pas encore. On intervient encore très facilement », constate un policier.Le commissariat reçoit des courriers relatifs à la population de SDF. On ne peut pas faire grand-chose, sauf s’ils sont ivres et qu’il y a trouble à l’ordre public
Ces derniers temps, le groupe de fauteurs de trouble a migré vers le haut de la rue de l’Hubac et la place du Mitan. Dans ces quartiers, des riverains ont peur de la présence de délinquants notoires. Aux Augiers aussi, certains disent rencontrer quelques soucis de voisinage.
Charles Bolf, directeur départemental de la sécurité publique
Il est le Directeur départemental de la sécurité publique. Charles Bolf connaît mieux que quiconque le sujet de la délinquance à Digne-les-Bains. Il a accepté de répondre aux questions de « La Provence ».
La délinquance est-elle en augmentation dans notre ville ?
Charles Bolf : La délinquance générale, c’est quelque chose de trop vague. Il faut relativiser. D’abord, ce sont de petits chiffres. Prenons par exemple les vols à la tire. On en a 7 en 2014 et 24 en 2016. On peut penser qu’il y a plus du triple, mais est-ce que le sentiment d’insécurité va changer si 7 personnes ou 24 se font voler leur portefeuille ? Vols à main armée : 0, 1 et 1… À Digne, les vols avec violence sont des arrachages de téléphone ou de collier, de rares cas d’arrachage de sac et souvent ce sont les mêmes scénarios qui se répètent : des jeunes placés en foyer, qui importent leur coutume marseillaise. Là, notre travail est assez rapide. À Manosque, où ce type de vol est beaucoup plus important, on a un taux d’élucidation de 50 %. C’est énorme, et c’est dû à deux choses : on couvre bien le terrain, et il y a un très bon réseau de vidéoprotection (82 caméras).
Il faut regarder les phénomènes. Par exemple, il y a une forte augmentation des vols à la roulotte dans le 04, mais ils baissent à Digne (de 83 à 63). Il y a une augmentation des vols par effraction (93 en 2016) dus principalement à une petite équipe de 4 à 5 jeunes. Ils ont été déférés devant la justice.
Que dire aux Dignois qui se plaignent de les revoir rapidement ?
Charles Bolf : Ils sont mineurs, on ne peut pas les écrouer. Ce sont les limites de la loi. Nous, on est responsable du taux d’élucidation. Pour empêcher que les choses se commettent, c’est une autre partie, une chaîne : mairie, services sociaux, justice…
Votre analyse ?
Charles Bolf : Digne est une ville calme, tranquille, même s’il ne faut pas négliger le fait que parfois des événements graves se produisent : 3 homicides ou tentatives en 2015, dont on a arrêté tous les auteurs. Le mois dernier, deux homicides dont un assassinat, dont les auteurs ont été déférés devant la justice. Des meurtres commis sur fond de difficultés sociales. Des gens qui ont recours à la violence extrême pour régler leurs problèmes. Des Dignois, qui reflètent la population telle qu’elle est. À Digne aussi on se tue pour un motif ou pour un autre.
Il y a incivilités et délinquance.
Charles Bolf : Nous, notre rôle, c’est la délinquance. Les incivilités, c’est le rôle de tout le monde, la Police nationale, la Police municipale. Les fêtes des voisins sont très bien pour discuter. S’il y a tapage, que les gens n’hésitent pas à nous appeler, on envoie la patrouille et on verbalise. Mais après, qu’en est-il de l’efficacité des sanctions…
Y a-t-il des points à améliorer pour être encore plus efficace ?
Charles Bolf : La vidéoprotection est l’instrument indispensable pour la résolution des problèmes de sécurité. Un outil fondamental dont on ne peut plus se passer aujourd’hui. À Digne, il appartient à la mairie de le mettre en oeuvre. À Manosque, l’installation avait coûté 250 000 €. Après, ce qui coûte cher derrière, c’est le personnel pour regarder. La sécurité a un coût, il n’y a pas de mystère. On a aussi déployé un délégué cohésion police-population qui fait du porte à porte, écoute les doléances des gens. On a aussi des policiers en tenue.
Certains policiers (et gendarmes) évoquent des statistiques tronquées.
Charles Bolf : On prend les plaintes quand l’infraction est constituée. Souvent, les gens arrivent, mécontents, et veulent déposer plainte. Par exemple cet hiver, quelqu’un voulait déposer plainte contre la mairie pour « mise en danger de la vie d’autrui » parce qu’il y avait de la glace devant chez lui. On avait fait une main courante. En revanche, lorsque des femmes sont frappées et ne souhaitent pas déposer plainte, on prend une main courante, ce qui n’empêche pas, après, le parquet de poursuivre. Les policiers ont une capacité d’appréciation. Derrière, le but n’est pas de faire baisser les chiffres. Il ne faut pas avoir peur des chiffres. Mes instructions sont constantes : on prend des plaintes pour tout, même pour un incendie de poubelle, sinon ça n’apparaît nulle part. C’est le taux d’élucidation qui est important. Par exemple 9 % d’élucidation des vols par effraction en 2014, 12 % en 2015 et 38 % en 2016. On est au-dessus de la moyenne nationale. Ou encore les 9 crimes de sang élucidés depuis 2015 à Digne et Manosque. J’ai un réel sentiment de satisfaction.
La lutte contre le terrorisme est-elle présente au quotidien ?
Charles Bolf : On est associé à la lutte contre la radicalisation. C’est un phénomène très important. On continue à être très vigilant. Rien n’est anodin, il ne faut pas hésiter à appeler le Centre national d’assistance et de prévention de la radicalisation, ou à se présenter au commissariat en cas de doutes sur une personne de notre entourage. Ce n’est pas de la délation, tout est important.
Le syndicat (Alliance) dénonce les coupes budgétaires annoncées dernièrement par le gouvernement, à hauteur de 526M€. Pourtant, plus que jamais les forces de l’ordre ont besoin de moyens renforcés pour assurer un quotidien de plus en plus dangereux.
Charles Bolf : Le président de la République a dit qu’il allait recruter 15 000 policiers, gendarmes et douaniers. Une ventilation se fera en fonction des priorités. Je ne suis pas inquiet, mais ici, il nous faut un nouvel hôtel de police digne de ce nom, où l’on puisse accueillir les gens correctement, qu’ils ne soient pas confrontés à leurs agresseurs… Le bien-être des fonctionnaires s’en ressentira.
Bernard Aymes, adjoint à la prévention de la délinquance
« Les tableaux, c’est bien, mais il faut comparer ce qui est comparable », estime Bernard Aymes, adjoint à la prévention de la délinquance. « Les chiffres ont augmenté en 2015 lorsqu’on a changé de commissaire. Il y a eu par exemple la prise en compte des mains courantes déposées par les femmes pour violences conjugales, ce qui explique en partie l’augmentation brutale des faits constatés qui passent de 631 à 1 000, alors que dans le même temps on ne remarquait pas, en ville, une nette évolution de la délinquance. Les stupéfiants aussi ont été pris en compte à partir de 2015. »
S’il reconnaît « une évolution pas favorable », l’élu estime que « le problème, c’est qu’on parle souvent de délinquance alors qu’il s’agit d’incivilités : tapage nocturne, voitures, musique…Quant à la part de petite délinquance, elle est à peu près stable, mais change de lieu en fonction des actions de la police. Après le Pied-de-Ville, puis le haut de la rue de l’Hubac sur la terrasse de la Chauvinière, maintenant que le restaurant a rouvert ils se sont décalés du côté de la montée des Prisons. Une dizaine d’assidus, plus tous ceux qui rayonnent autour, à la recherche d’un petit sachet d’herbe ou autre« .
Pour ce qui est de l’action de la police, « les patrouilles tournent pendant la journée dans la vieille ville, c’est bien, mais c’est le soir et dans la nuit qu’on a des problèmes d’incivilités, et là, il n’y aqu’une seule patrouille qui ne peut pas être partout en même temps. C’est un problème. Et ce n’est pas le rôle d’une municipalité de remplacer la Police nationale. Pour moi, l’action police sur la petite délinquance et les incivilités nocturnes, n’est pas satisfaisante. Après, le commissaire fait avec les effectifs qu’on lui donne ».
M. Aymes dénonce également « la paupérisation de la population, les parents qui démissionnent, les marchands de sommeil… Il y a trois secteurs où l’État ne devrait pas serrer le robinet : la santé, l’éducation et la sécurité« . Il déplore aussi « le manque de sévérité de la justice. Un mois après être passés devant le juge, on les revoit traîner, et le plus terrible c’est qu’ils deviennent des héros, des caïds. Les gens se plaignent, mais ils ne se rendent pas compte que nous, municipalité, on est impuissant. On est bloqué par la loi« .
Concernant la vidéoprotection, le dossier sera déposé avant la fin de l’année en préfecture. S’il est accepté, les caméras seront installées en 2018 dans la vieille ville, en une vingtaine de points, avec possibilité d’évolution. Coût estimé : environ 300 000 €, avec quelques subventions de l’État et de la Région.
« La délinquance à Digne pose problème, mais moins que les incivilités. Si on arrivait à les calmer, on résoudrait une bonne partie des problèmes », conclut l’élu.
Marie-France Bayetti
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