Fonction publique : vers un plan de départs volontaires
Édouard Philippe a annoncé un assouplissement du statut de la fonction publique dans le cadre de la réforme de l’État et a ouvert la voie à des départs volontaires.
PAR MARC VIGNAUD
Ils appellent cela « l’acte 1 de la transformation publique ». Jeudi matin, Édouard Philippe a réuni ses ministres en « comité interministériel » pour lancer la première étape de la réforme de l’État annoncée en octobre. Un sujet sur lequel l’exécutif se sait très attendu puisqu’il permettra de jauger l’ampleur de l’ambition réformatrice d’Emmanuel Macron. « Le moteur de la transformation, c’est les ressources humaines », nous expliquait il y a quelques jours un des responsables de ce chantier. Et c’est effectivement sur ce chantier « transversal » que le Premier ministre a concentré ses annonces.
Le gouvernement va ouvrir le dossier hautement sensible de l’assouplissement du statut de la fonction publique. « Les règles statutaires se sont un peu sédimentées, l’application du statut s’est rigidifiée », a justifié Édouard Philippe.
Au menu, la « rénovation du dialogue social », comme cela a été fait dans le secteur privé au travers des ordonnances travail. Le Premier ministre a relevé « 22 000 instances de dialogue dans la fonction publique ». Il veut donc simplifier les instances représentatives et déconcentrer les processus de décision.
Rémunération au mérite
Parallèlement, Édouard Philippe veut discuter de la rémunération dans la fonction publique afin de « mieux récompenser le mérite individuel, l’implication, les résultats ». Une « rémunération au mérite » promise par Emmanuel Macron pendant sa campagne dans une lettre ouverte aux agents publics. Le point d’indice qui régit l’évolution salariale des fonctionnaires, et qui a été à nouveau gelé en 2018, pourrait être revu. Le locataire de Matignon a aussi évoqué la possibilité d’une formule « d’intéressement collectif », comme dans le privé.
Le dossier sera d’autant plus explosif que l’exécutif semble bien décidé à étendre « largement » le recours aux contractuels, « notamment pour les métiers ne relevant pas d’une spécificité propre au service public ». Y compris pour les postes de sous-directeur ou de chef de service, ce qui n’est pas possible actuellement, fait-on valoir dans l’entourage du Premier ministre et du ministre des Comptes publics. « Des métiers ne justifient pas le maintien du statut. Un employeur public pourra prendre le meilleur profil qui se présente, qu’il soit fonctionnaire ou pas. » Reste à savoir qui sera concerné et jusqu’où ira cette évolution…
Réorganiser des services
Symboliquement, le gouvernement veut pouvoir embaucher de jeunes fonctionnaires deux ans après leur sortie de l’ENA sur 20 à 30 postes par an identifiés comme prioritaires pour la transformation publique, conformément à une annonce d’Emmanuel Macron il y a quelques jours lors de la rentrée solennelle de la Cour des comptes. Actuellement, ces jeunes hauts fonctionnaires doivent passer quatre ans dans des corps d’inspection et de contrôle en fonction de leur rang de sortie de l’école. L’exécutif espère également faciliter les aller-retour entre le privé et le public pour élargir l’expérience des agents sans pour autant que cela gêne leurs évolutions de carrière dans la fonction publique.
Gérald Darmanin, le ministre de l’Action et des Comptes publics, a même annoncé un possible « plan de départs volontaires » pour les agents publics qui voudraient partir à la suite de l’annonce de la réforme de l’État. Pour le financer, le gouvernement pourrait faire appel au fonds pour la transformation publique qu’il a prévu pour faciliter la transformation de l’administration, doté de 700 millions d’euros sur le quinquennat. Objectif ? Simplifier les réorganisations, voire les fermetures de services pour en finir avec la culture du coup de rabot, incarnée par la logique du non-remplacement indifférencié d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite privilégiée par Nicolas Sarkozy lorsqu’il était à l’Élysée.
Dialogue avec les syndicats de la fonction publique
Édouard Philippe prend l’exemple du métier de contrôleur des impôts, qui est en train de se transformer. « On passe progressivement de la culture du contrôle systématique à une culture du contrôle des données », a expliqué le Premier ministre, en mettant la nécessité d’embaucher des spécialistes du « data mining ». Pour tenter de rassurer les fonctionnaires, le gouvernement met en avant l’argent qu’il a prévu pour financer des formations afin d’accompagner des reconversions et des mobilités entre fonctions publiques actuellement très peu utilisées. Un milliard et demi a été sur cinq ans dans le cadre de son grand plan d’investissements.
Une grande consultation sera engagée d’ici à la fin de l’année avec les organisations syndicales de la fonction publique, avec en ligne de mire la présentation d’un projet de loi début 2019. Elle s’annonce houleuse.
100 % des démarches administratives accessibles en ligne d’ici à 2022
Au-delà de ces sujets de ressources humaines, Édouard Philippe veut systématiser, comme Emmanuel Macron s’y est engagé, la publication d’indicateurs de qualité pour tous les services qui accueillent du public (écoles, hôpitaux, tribunaux, etc.) afin d’en faire un « aiguillon du changement » et de « mieux répondre aux attentes des usagers ». Cent pour cent des démarches administratives devront par ailleurs être accessibles en ligne d’ici à 2022 via un portail déjà existant nommé FranceConnect. Il permet d’accéder à nombre de services (permis de conduire en ligne, etc.) via les identifiants renseignés par l’utilisateur pour différents services publics (assurance maladie, etc.). Édouard Philippe veut faire de la France un des pays leaders pour l’administration en ligne, à l’image de l’Estonie. Les parents d’élèves devraient par exemple être capables de renseigner une fois pour toutes les fiches de renseignement demandées sur une application pour smartphone.
En attendant, la réforme de l’État reste en chantier. Responsables chacun d’un « plan de transformation » de leur politique publique, les ministres sont aiguillonnés par le comité Action publique 2022, une commission d’une quarantaine d’experts venus du public et du privé qui présentera un rapport fin mars. D’ici là, ils devront présenter leur plan chaque semaine à tour de rôle en conseil des ministres avant un arbitrage par Matignon et l’Élysée en avril. Le 3 janvier, un premier point d’étape avait été organisé pour les « remobiliser », leurs plans ayant été jugés insuffisants. Une vingtaine de pistes structurantes de transformation de politique publique devraient être annoncées, a affirmé Édouard Philippe. Des missions pourraient simplement être abandonnées au secteur privé.
« Pourquoi peut-on réussir ? Quand j’étais jeune inspecteur au moment de la RGPP, j’ai vu un exercice très éloigné des ministères. Là, il est plus articulé », confie un responsable de la réforme de l’État. D’abord les transformations, ensuite les économies, a promis Emmanuel Macron. Reste à voir si les économies prévues, de 4,5 milliards à partir de 2020, seront bien au rendez-vous.