Des marques blanches sur le sol signalent les impacts de balles et, quelques mètres plus loin, une pelletée de sable là où les pompiers ont secouru l’une des victimes baignant dans son sang. Ce mardi matin, près de l’entrée de la Caisse d’allocations familiales de la Reynerie dans le quartier toulousain du Mirail classé en zone de sécurité prioritaire, il restait ces traces visibles de la fusillade qui la veille au soir a fait 1 mort et 7 blessés dont deux avec pronostic vital engagé.
Selon les autorités judiciaires, il était près de 21 heures lundi soir lorsqu’un individu, déguisé en femme, revêtu d’un niqab noir, a sorti une kalachnikov dissimulée dans une poussette avant de tirer sur un groupe rassemblé à une centaine de mètres de l’entrée du métro, ciblant un individu. Ce dernier, «très défavorablement connu des services de police», est décédé. Très déterminé, le tueur qui a poursuivi sa cible sur 200 mètres tout en tirant et a pris la fuite sur une moto pilotée par un complice. Selon les premiers éléments recueillis par le service régional de la police judiciaire de Toulouse l’enquête s’oriente vers le règlement de compte. La piste terroriste a été écartée.
«On paye le prix de l’abandon de la police de proximité et du démantèlement des RG»
Le lien n’est pas établi. Mais la fusillade de lundi soir s’inscrit dans une série «d’embrouilles» liées à des guerres de territoires entre bandes rivales sur fond de trafic de drogue. Bilan: 14 morts en six ans. Des meurtres à la kalachnikov, au fusil à pompe ou au pistolet entre jeunes des cités des Izards (quartier nord) et du Mirail que les policiers toulousains ont beaucoup de mal à élucider faute de témoignages et de «renseignements de terrain». «On déboule quand tout est fini. La plupart des témoins se sont volatilisés. Les gens ont peur, ils ne parlent pas. On se doute qu’il y a des liens vu le profil de certaines victimes mais on n’a rien. On paye le prix de l’abandon de la police de proximité et du démantèlement des RG», peste une source policière interrogée par Libération.
Retour sur la place Abbal dans le quartier de la Reynerie. Regards tristes, mines fermées. Un groupe de femmes rassemblées devant la caisse d’allocations familiales commente les événements. «J’ai cru que c’était des pétards puis j’ai vu les gens courir et une personne couverte d’un niqab courir une arme à la main dans le sens inverse vers les jeunes. Puis j’ai vu un homme par terre. Ça a duré dix minutes. Plus tard j’ai appris que l’une des victimes était un parent venu du bled pour rendre visite à sa famille», raconte une mère de famille africaine en boubou. «A deux minutes près, j’étais prise au milieu des coups de feu, rajoute cette autre mère de deux enfants de 4 et 6 ans. Depuis deux ans, je fais toutes les démarches pour être relogée ailleurs mais ça ne donne rien. Je m’en fous de payer un T1 dans le privé. Ce n’est plus vivable, j’ai peur pour mes enfants. Où sont les policiers censés nous protéger. Où est le maire, où sont les élus ?».
«L’un des plus beaux endroits de la ville»
Plus loin, Pierre, 71 ans, agriculteur à la retraite, arrosoir à la main, se dirige vers le jardin partagé planté au pied de l’une des barres d’immeubles de la Reynerie. On l’accompagne. Passage entre deux immeubles sous le regard d’un guetteur planté sur sa chaise à l’entrée d’un point de deal dès 11 heures du matin. «Ils me connaissent. Je vis ici depuis quinze ans et c’est l’un des plus beaux endroits de la ville, dit-il en désignant les abords du lac de la Reynerie. Mais c’est de pire en pire. Il y a de moins en moins de mixité. Les gosses ne sont pas éduqués. Individuellement, ils sont gentils mais dès qu’ils sont en bande, ils se comportent comme des animaux. Le respect de la vie se perd de plus en plus.»
Dans la Dépêche du jour, le maire de Toulouse, Jean-Luc Moudenc, promet 120 millions d’euros d’investissement et le retour de la police municipale dans les quartiers. A la Reynerie, au lendemain de la fusillade, aucune cellule de prise en charge psychologique des habitants n’a été mise en place.