Bon, ce n’est pas une élection au suffrage universel, ni même un sondage, mais tout de même ! Le général de Villiers vient d’être choisi par les internautes, fidèles de la radio RMC, « Grande Gueule de l’année 2017 ». Ce n’est pas rien, compte tenu de la popularité de cette émission.
Pierre de Villiers rejoint ainsi une lignée, disons, assez hétéroclite. 2016, L214, une association de défense de la cause animale qui se fit connaître en dénonçant la maltraitance animale dans les abattoirs ; 2015, le juge antiterroriste Marc Trévidic pour sa mise en garde contre la menace terroriste en France ; 2014, Éric Zemmour après la sortie de son livre Le Suicide français ; 2013, Frigide Barjot, pour son combat à la tête de la Manif pour tous ; 2012, Jean-Luc Mélenchon – déjà lauréat en 2010 – pour sa grande gueule (!) ; 2011, le docteur Irène Frachon, qui dénonça le scandale du Mediator. Notons qu’en 2008, Robert Ménard avait reçu le trophée. Une distinction que le journaliste devait, selon le média en ligne Purepeople, « en grande partie, outre à ses années de vigilance médiatique, à ses actions motivées par les Jeux Olympiques de Pékin et la politique chinoise du Tibet […] ».
Une lignée assez hétéroclite, donc, où, à l’exception notable de Jean-Luc Mélenchon – en 2008, Robert Ménard n’était pas engagé en politique -, les politiciens de tous bords sont les grands absents. L’économiste Pascal Perri, « grande gueule » attitrée, estime qu’un des critères pour se voir attribuer le prix serait le courage. Et c’est vrai qu’en France, patrie de Cyrano de Bergerac, on aime cette vertu. Avoir du courage, avoir du cœur : c’est du pareil au même, la même étymologie, d’ailleurs. « Rodrigue, as-tu du cœur ? » Est-ce à dire que les politiques manqueraient de courage ?
Bien sûr, ce n’est pas parce qu’on ouvre sa gueule qu’on a forcément quelque chose à dire, mais les « Grandes Gueules de l’année » ont sans doute réussi, à un moment donné, à porter avec un certain talent et, incontestablement, du courage une colère, une inquiétude, une indignation.
Alors, que révèle l’attribution de cette nouvelle « décoration » au général de Villiers ?
D’abord, une évidence : que l’armée française, ce n’est pas rien dans la nation. Demain, le directeur du Trésor ou le patron de la police nationale démissionnerait, on en parlerait deux jours, au mieux, et puis… basta ! La France et son armée, c’est finalement toute notre histoire. Bien sûr, il n’y a pas que l’armée qui sert. La police, les pompiers, les médecins aux urgences, que sais-je encore. Mais l’armée porte une exigence qu’aucun autre corps dans l’État ne porte. Une exigence fixée par la loi : l’« esprit de sacrifice jusqu’au sacrifice suprême ». Un sorte de scandale, à bien y réfléchir, dans une société individualiste, mais que les Français, paradoxalement, reconnaissent et respectent.
Sans doute aussi parce que les Français, justement peuple paradoxal par excellence, ont aimé qu’un général, incarnation de l’obéissance, fasse preuve, d’une certaine manière – et de bonne manière ! –, d’insoumission. Si l’on peut considérer qu’aller au bout de la vérité est de l’insoumission. Car à bien y réfléchir, dire la vérité, n’est-ce pas, au contraire, une preuve supérieure d’obéissance : celle que l’on doit au bien commun ?
Peut-être, enfin, les auditeurs de RMC ont-ils reconnu dans le geste du général de Villiers ce panache si français, incarné par Cyrano de Bergerac.
« Moi, c’est moralement que j’ai mes élégances
Je ne m’attife pas ainsi qu’un freluquet,
Mais je suis plus soigné si je suis moins coquet ;
…
Mais je marche sans rien sur moi qui ne reluise,
Empanaché d’indépendance et de franchise ;
Ce n’est pas une taille avantageuse, c’est
Mon âme que je cambre ainsi qu’un corset,
Et tout couvert d’exploits qu’en rubans je m’attache,
Retroussant mon esprit ainsi qu’une moustache,
Je fais, en traversant les groupes et les ronds,
Sonner les vérités comme des éperons. »