Gérard Collomb : « À délinquance numérique, réponse numérique »
ENTRETIEN. Le ministre de l’Intérieur détaille une série de mesures pour moderniser les forces de l’ordre et les rendre plus efficaces.
PROPOS RECUEILLIS PAR GUERRIC PONCET
Gérard Collomb dévoile ce jeudi les contours de la promesse du candidat Macron d’instaurer une police de sécurité du quotidien (PSQ). Dix mois après son arrivée à Beauvau, marqués par l’adoption d’une loi antiterroriste et la réforme à venir de l’asile et de l’immigration, le ministre de l’Intérieur annonce cette PSQ dans le grand amphithéâtre de l’École militaire, à Paris, un exercice aux allures de grand oral pour le premier flic de France. Il nous détaille ses propositions de « police numérique ». Entretien.
Le Point : Pourquoi une police et une gendarmerie plus connectées ?
Gérard Collomb : Toute une série d’actes de délinquance classique entre dans le cyber : demain le « dealer du coin » ne sera plus le modèle dominant, car les commandes se font de plus en plus sur Internet avec livraison à domicile. Et les types de criminalité ont beaucoup évolué avec une forme « d’uberisation du cambriolage », comme les systèmes de rançongiciels qui vous demandent de payer pour récupérer vos données personnelles. Vous le voyez, il n’y a pas que nous qui sommes entrés dans l’ère cyber ! Les délinquants et criminels y sont entrés aussi. À délinquance numérique, police et gendarmerie numériques.
Qu’est-ce qui va changer ?
Le numérique nous permet de développer de nouveaux services et de moderniser nos forces, non seulement dans les outils dont elles pourront désormais disposer sur le terrain, mais aussi dans leur capacité à traquer la cyberdélinquance de masse. Une partie de l’avenir de la police et de la gendarmerie, c’est la technologie.
110 000 tablettes et smartphones, 10 000 caméras-piéton
Sur le terrain, les forces de l’ordre vont disposer de nouveaux outils high-tech : lesquels ?
Nous menons une révolution totale de nos modes d’action sur le terrain. C’est l’un des points de la Police de sécurité du quotidien. Nous allons déployer 60 000 tablettes et smartphones Neo chez les gendarmes, et 50 000 chez les policiers, le tout d’ici à 2020. Nous déployons de nouvelles applications sur ces appareils, avec un accès direct aux fichiers. Les policiers et les gendarmes peuvent, par exemple quand ils contrôlent l’identité un individu, regarder directement s’il apparaît dans les fichiers de la délinquance alors que,hier, ils devaient passer de longues minutes au téléphone et consulter les fichiers les uns après les autres.
Quelles unités seront équipées en priorité ?
Ces 110 000 appareils seront concentrés d’abord dans les endroits les plus sensibles. Cela participera à apaiser les tensions, tout comme les caméras-piéton que nous multiplierons par quatre d’ici à 2019, pour en porter le nombre à 10 000.
Quel est l’intérêt de ces caméras-piéton ?
Un éventuel conflit peut être filmé avec la caméra : plutôt que d’être confrontés à une zone d’incertitude pour déterminer qui est l’agresseur et qui est l’agressé, nous pouvons voir tout de suite ce qui s’est passé. Dans les cas fréquents où les policiers et les gendarmes sont agressés, les images peuvent être envoyées immédiatement pour analyse.
Les caméras-piéton doivent être déclenchées par le porteur : les trente secondes précédant l’activation sont alors mémorisées, de même, évidemment, que les minutes suivantes. On peut imaginer qu’un policier ou un gendarme qui n’interviendrait pas dans les règles de l’art, décide de ne pas activer sa caméra…
Déclencher la caméra, cela doit devenir un réflexe pour chaque policier et chaque gendarme. Si un individu affirme qu’il a été agressé par un policier ou un gendarme doté d’une caméra qui n’a pas été actionnée, il peut y avoir un doute substantiel, un soupçon.
Les caméras ont un écran qui montre l’image à la personne filmée. Comptez-vous sur l’effet psychologique ?
Forcément, lorsque vous voyez votre image sur la caméra, vous savez que vous êtes filmé, cela influe sur l’attitude.
800 cybergendarmes et cyberpoliciers en plus
Vous annoncez aujourd’hui la création d’une brigade numérique de la Gendarmerie (LIEN), pourquoi ?
La création de la brigade numérique nous permet de donner aux Français l’accès aux mêmes services que ceux dont ils disposent dans une brigade ou un commissariat physique. La brigade numérique sera accessible via les comptes Twitter et Facebook de la gendarmerie puis au printemps directement sur le site de la gendarmerie (tchat). Je la lancerai officiellement avant la fin du mois de février.
Le but des guichets numériques est-il de désengorger les chargés d’accueil ?
Grâce aux plateformes « Perceval » et « Thésée » qui seront mises en ligne dès 2018, sur le site service-public.fr, pour lutter contre les fraudes aux moyens de paiement et les escroqueries sur Internet, des milliers de visites dans les commissariats et les gendarmeries pourront être évitées. Et des réponses pourront être apportées sans que les personnels sur le terrain soient forcément mobilisés. Ces plateformes nous aideront à centraliser les informations et, à terme, proposer le dépôt de plainte en ligne.
Les cyberflics se plaignent souvent du manque de moyens…
Nous allons embaucher dans les cinq années qui viennent 800 personnes pour doubler nos capacités spécialisées, mettre en place une cybersécurité du quotidien qui concerne tous les Français, mais également pour épauler les policiers et gendarmes des commissariats et des brigades. Par ces capacités démultipliées, nous pourrons décrypter sur le dark web des choses auxquelles nous n’avons pas aujourd’hui accès. Par ailleurs, tous les policiers et les gendarmes recevront, dès leur formation initiale, un enseignement spécifique sur ce sujet.
Travaillez-vous sur des projets de police prédictive ?
Nous allons développer des outils d’aide à la décision. Nous n’avons pas le même type d’acte de criminalité et de délinquance dans tous les territoires, et ils ne se produisent pas aux mêmes moments. À l’étranger, des forces de sécurité utilisent déjà des outils d’aide à la décision pour projeter les bonnes forces aux bons endroits. Pour le moment nous le faisons de manière artisanale, grâce à l’expérience des agents, mais nous allons analyser les données avec de l’intelligence artificielle pour être encore plus efficaces. Une expérimentation a ainsi été lancée dans onze départements.
Les procédures, souvent lourdes et chronophages, pourraient-elles être demain dématérialisées ?
Nous souhaitons la dématérialisation des procédures. Mais encore faut-il que l’on puisse identifier la personne qui envoie, c’est tout le problème de l’identité numérique. Nous avons lancé un groupe de travail il y a un mois sur cette thématique entre les ministères de l’Intérieur, de la Justice et du Numérique. Nous en avons absolument besoin si nous voulons que les relations entre les enquêteurs et les magistrats soient plus fluides et que les uns et les autres ne disent pas qu’ils sont accablés de paperasse.
Comment attirer les cyberexperts, alors que le privé propose des rémunérations largement supérieures ?
Le service des Français est une mission exaltante et c’est bien cela que les jeunes ingénieurs viennent chercher dans nos rangs. L’attractivité réside dans l’activité elle-même. Par ailleurs, nos partenariats avec les groupes privés sont très nombreux. Le dispositif d’aide aux victimes de cybermalveillance (Acyma) est d’ailleurs un groupement d’intérêt public. Il met en relation les victimes avec des prestataires et permet de détecter des phénomènes que nos services peuvent traiter beaucoup plus rapidement.