Identifier un soldat inconnu : récit d’une enquête hors norme
Le sergent Claude Fournier, dont le squelette a été retrouvé à Verdun, est inhumé ce mercredi. C’est le premier poilu identifié grâce à son ADN.
PAR ANNA BRETEAU
Le 6 mai 2015, sur le chantier de rénovation du Mémorial de Verdun, un ouvrier découvre, à 2 mètres de profondeur, des ossements. Trois squelettes enchevêtrés et presque complets, que le médecin légiste Bruno Frémont s’empresse de venir observer. Sur l’ancien champ de bataille de Verdun (1916), où reposeraient encore près de 80 000 soldats disparus, il ne fait aucun doute que ces corps ainsi que les objets et morceaux d’uniforme retrouvés à proximité appartiennent à des combattants français de la Première Guerre mondiale.
Bruno Frémont parvient à convaincre les ouvriers de ne pas reprendre leur chantier, déjà en retard. « Il fallait absolument faire des recherches alentour pour retrouver une plaque militaire, essayer d’identifier ces corps », raconte le médecin légiste. Les ouvriers fouillent alors la terre dégagée par la pelleteuse. Une fiole Ricqlès d’alcool à la menthe à moitié pleine est découverte sur l’un des trois squelettes. Puis, eurêka, une plaque est retrouvée : celle du sergent Claude Fournier, incorporé en 1900. Une rapide recherche sur le site « Mémoire des hommes », qui recense tous les certificats de « morts pour la France », permet de faire correspondre cette plaque à une fiche complète : Claude Fournier est né en 1880 à Colombier-en-Brionnais et mort à Douaumont le 4 août 1916. Or, il y a trois corps. Impossible à ce stade de savoir lequel est celui du sergent Fournier. C’est le début d’une enquête hors norme pour retrouver la famille de ce poilu, qui sera le premier à être identifiégrâce à une recherche génétique.
1,66 m, les yeux bleus
Fascinés, des journalistes locaux s’emparent de l’affaire. C’est ainsi qu’un exemplaire du Journal de Saône-et-Loire atterrit sur le bureau de Jean-Paul Malatier, maire de Colombier-en-Brionnais, qui découvre que l’homme retrouvé est né dans son village. « Il y avait là quelque chose d’extraordinaire : en plein centenaire de la guerre 1914-1918, on venait de retrouver un poilu natif de Colombier. Cette histoire le touchait : son grand-père était brancardier pendant la Première Guerre mondiale, il avait entendu parler de cette guerre quand il était gamin », raconte Bruno Frémont, médecin légiste. Le maire se plonge alors dans les archives du village… Claude Fournier est bien né à Colombier-en-Brionnais, mais a quitté le village avant la guerre.
Confronté au silence des archives, le maire convoque alors les « anciens » afin de trouver des éléments de réponse. Quelques jours plus tard, une femme se présente à la mairie : Claudia Palluat-Montel. « Je connaissais les Fournier, c’étaient des cultivateurs. Nous sommes vaguement cousins, c’est tout ce que je sais », déclare l’octogénaire. C’est mince, comme indice. Mais Jean-Paul Malatier est déterminé. Il contacte des associations pour la mémoire de la Grande Guerre, notamment Le Souvenir français. Philippe Lenglet, le trésorier du Souvenir français du Brionnais, et le chercheur Hervé Cardon l’épaulent dans ses recherches. C’est aux archives départementales de Saône-et-Loire qu’ils vont trouver plus d’informations sur le sergent Claude Fournier. Sa fiche de matricule, à l’incorporation, indique qu’il mesure 1,66 m, a les yeux bleus et a fait de bonnes études.
Le petit-fils « ému »
Grâce à l’aide du Souvenir français, le maire de Colombier-en-Brionnais parvient à reconstituer, patiemment, la généalogie descendante du sergent français. Parti s’installer dans la région lyonnaise avec sa famille, Claude Fournier était jardinier. Il a eu une fille, Antoinette Fournier, qui elle-même a eu des enfants. Le seul encore vivant s’appelle Robert Allard. Il a 75 ans et habite à Cannes. « J’étais très ému et impressionné, c’était une nouvelle extraordinaire » , nous raconte Robert Allard. Il n’a évidemment jamais connu son grand-père, et sa mère Antoinette Fournier est morte en 2011 à l’âge de 101 ans. « Elle aurait presque pu apprendre la nouvelle. Elle parlait souvent de ce père disparu à Verdun. Elle n’en avait aucun souvenir, bien sûr, mais son plus grand regret était de ne pas savoir où se trouvait la sépulture de son père », ajoute-t-il.
Robert Allard demande alors que lui soit restituée la dépouille de son grand-père. Une demande qui atterrit au ministère de la Défense. Car, selon la loi française, c’est l’État qui doit prendre en charge financièrement le rapatriement de la dépouille d’un soldat « mort pour la France », auprès de sa famille.
Mais un problème de taille demeure : lequel des trois squelettes est celui du sergent Fournier ? Quels types de recherche peuvent être effectués ? Qui les financerait ? Les informations retrouvées dans les archives nationales permettent de donner des indices, mais ne suffisent pas à identifier le corps avec certitude. Bruno Frémont propose alors de faire une recherche génétique, dont le coût est aujourd’hui d’environ 80 euros. Ce serait une grande première dans l’histoire de la mémoire de la Première Guerre mondiale. Mais le ministère de la Défense tarde à donner sa réponse.
« La correspondance génétique est de 100 % »
Le feu vert arrive début novembre. Il faut alors réassembler les trois corps, étudier les blessures et faire des prélèvements. Le médecin légiste de Verdun fait appel à une anthropologue, Tania Delabarde. « Ensemble, nous faisons des prélèvements ADN sur les fémurs et les dents. Parallèlement, j’envoie un kit de prélèvement au petit-fils présumé du sergent Fournier, M. Allard », explique Frémont. Ces différents ADN vont être envoyés à l’institut médico-légal de Strasbourg. Une forte probabilité de correspondance ADN entre l’un des squelettes et Robert Allard est constatée. « Mais nous ne pouvons en être absolument sûrs », concède toutefois Bruno Frémont.
Une analyse supplémentaire avec l’ADN mitochondrial de la cousine, Claudia Palluat-Montel, donne la clé. Bruno Frémont se rappelle : « C’était le 2 mai 2017. Il commençait à faire bon, j’étais dans mon jardin quand j’ai reçu un coup de téléphone. C’était Christine Keyser, de l’institut médico-légal de Strasbourg : La correspondance génétique est de 100 %. »
Mettre un visage sur un nom
Le corps du sergent Fournier est identifié avec certitude. Il présente des blessures osseuses et une fracture du crâne, « sans doute dues à des éclats d’obus », explique Bruno Frémont. Mais l’équipe ne s’arrête pas là : elle veut mettre un visage sur le nom de ce poilu. Les lettres et photos du sergent Fournier conservées dans le garage de son petit-fils ont été emportées par les inondations d’octobre 2015 dans les Alpes-Maritimes. Ne restait que cette plaque métallique retrouvée à Verdun et une médaille militaire remise à titre posthume. Et une photo ancienne, découverte par le maire de Colombier-en-Brionnais Jean-Paul Malatier en fouillant dans les vieux documents de Claudia Palluat-Montel. Quinze soldats prennent la pose. Au dos est écrit « Claude Fournier ». Mais comment l’identifier ? « Nous sommes face à un homme que personne n’a connu ! » rappelle le médecin Bruno Frémont.
Ce dernier décide alors de solliciter à nouveau les gendarmes – et plus précisément l’IRCGN (Institut de recherche criminelle de la gendarmerie nationale) – et le CIC, la Cellule d’identification criminelle. Il tente de leur faire accepter l’idée d’une reconstitution faciale à partir du crâne de Claude Fournier. « Ils sont d’abord réticents à ma demande, ont beaucoup de travail à cause des attentats », raconte-t-il. Mais son insistance paie et ils finissent par accepter ce travail inédit. Au début du mois de novembre 2017, un portrait-robot du sergent Fournier est dressé, son visage est reconstitué. Il est enfin identifié sur la photo.
À l’issue d’une collaboration fructueuse de plus de trois ans entre médecins légistes, généalogistes, historiens, gendarmes et amateurs curieux et éclairés, une identité et un visage sont donnés à ce « soldat inconnu ». Robert Allard, son petit-fils, attend beaucoup de cette cérémonie : « Nous donnons à la fois une identité à mon grand-père, et un visage à tous les autres soldats disparus. Cette cérémonie est un message d’espoir. » En effet, 80 000 combattants de la guerre 14-18 se trouvent encore dispersés sous terre, sur l’ancien terrain de la bataille de Verdun. Inhumé ce mercredi à Douaumont, dans la Meuse, le sergent Claude Fournier trouve enfin une sépulture, plus d’un siècle après sa mort.