La guerre aux rodéos sauvages est déclarée!
Un bitume noyé dans la fumée alors qu’une berline fait crisser ses pneus en tournant comme une toupie autour d’un rond-point … Un pilote de scooter, sans casque, multiplie les roues arrière dans un vacarme assourdissant, en plein après-midi devant des riverains médusés : ces scènes de rodéos sauvages trop souvent décriées dans les rues des cités toulousaines et les jardins publics seront-elles vouées à disparaître définitivement ? Depuis le 3 août 2018, policiers et gendarmes disposent d’un nouvel arsenal répressif pour mettre fin à ces dérives routières consistant à monter sur les trottoirs, rouler sur les espaces verts, à cabrer sur son deux-roues ou circuler à contresens en quad ou sur d’autres engins motorisés. Le Sénat et l’Assemblée nationale viennent d’adopter la nouvelle loi renforçant la lutte contre les rodéos motorisés, ces périples dangereux et bruyants qui font vivre un enfer aux riverains. Désormais, les contrevenants encourent un an de prison et 15 000 € d’amende. Ce nouveau délit prévoit des circonstances aggravantes si les personnes incriminées ont consommé de l’alcool ou des stupéfiants. La loi prévoit également la confiscation du véhicule ayant servi au délit. Elle vise aussi l’incitation à commettre les faits et l’organisation de rassemblement «destiné à permettre la commission des faits». Les runs, ces courses de voitures sauvages sur des lignes droites, sont donc carrément dans le collimateur des forces de l’ordre (2 ans de prison et 30 000 euros d’amende). La lutte contre les rodéos motorisés entre dans l’esprit de la police de sécurité et du quotidien, le projet phare du Gouvernement Macron : davantage de forces de l’ordre dans les quartiers pour faire reculer les incivilités du quotidien. À Toulouse, les policiers sont déjà à pied d’œuvre pour intervenir. Mais la mission n’est pas simple. Encore faut-il intercepter l’auteur du délit et caractériser de manière précise et circonstanciée l’infraction constatée. «C’est un outil judiciaire supplémentaire mais suffira-t-il à enrayer pour autant le phénomène des rodéos ?», s’interroge un policier. «Un individu sur un quad qui prend les ronds points à contresens dans un temps donné en escaladant les trottoirs est directement visé par la nouvelle loi», assure un fonctionnaire de police. Le délit peut être retenu à la faveur de deux conditions : s’il est puni par le Code de la route et si le caractère répétitif des faits dans un même temps est dûment constaté. Alors que depuis début août, aucune interpellation ni garde à vue n’avaient été recensées dans le cadre de la nouvelle loi à Toulouse, l’opération menée dans la nuit de vendredi à samedi, route d’Espagne a porté ses fruits : quatre automoblistes ont été interpellés et leurs véhicules saisis.
«Ils sont les rois de la rue»
«C’est partout, sur toutes les routes.» Pour Tylia, jeune Balmanaise de 16 ans, les rodéos ne connaissent pas de limite géographique. Qu’importe la ville, le quartier, le rodéo urbain semble en effet toujours avoir la cote. La jeune fille a d’ailleurs de copains qui s’y adonnent : «Ils s’entraînent seuls, puis se retrouvent en groupe pour montrer ce qu’ils savent faire. Ils font ça pour l’adrénaline, et par fierté». Kévin, lui, vit dans le quartier toulousain La Vache : «On les voit surtout en fin d’après-midi. Ils sont souvent seuls : ils ont un scooter qu’ils se partagent à tour de rôle». Assia, son amie, vit près du Palais de Justice. Pour elle, «il n’y a pas d’heure ! On les voit dans tous les lieux que la police ne fréquente pas… La plupart sont jeunes, mais pas seulement. Ils sont les rois de la route… Ils font les intéressants.»
Amana, 17 ans, vit à Saint-Gaudens. Lui aussi connaît le phénomène : «C’est dangereux certes, mais ils ne me dérangent pas, les risques ce sont eux qui le prennent.» Un argument dont tous les riverains ne sont pas convaincus… «J’habite à Noé, près de Muret, et on en voit aussi, raconte Sophie, maman d’une petite Inès de 3 ans. Ma fille me demande pourquoi ils roulent que sur une roue ! Personnellement, quand je conduis, j’ai peur de leur rentrer dedans…» Clémence, 32 ans, témoigne : «Pour me rendre au travail je passe à vélo rue Henri-Desbals, entre Mermoz et Bagatelle. Cela demande dix fois plus d’attention, il faut anticiper pour tout le monde. Cela m’arrive de prendre le bus pour éviter d’avoir à passer par là à vélo. On voit parfois des accidents, mais ils continuent quand même…» Pour toutes les personnes interrogées, pas sûr que le nouvel arsenal législatif voté par l’Assemblée nationale et le Sénat soit efficace. «Ce qu’il manque avant tout c’est de la sensibilisation, estime Assia. Cette loi va peut-être faire entrer de l’argent dans les caisses mais ne va pas empêcher les jeunes de prendre leur scooter». Sophie est moins tranchée : «Cela va peut être rassurer quelques riverains et dissuader quelques personnes de faire du rodéo. Mais je pense que le problème est ailleurs, un vrai problème de fond». Son beau-frère, qui vit à Lille, conclut : «Il y en a chez nous aussi. Il faut bien que jeunesse se passe…»
Luc Escoda, Secrétaire régional du syndicat Alliance à Toulouse
«Le problème c’est l’application des sanctions»
Cette nouvelle loi pour lutter plus efficacement contre les rodéos motorisés qui sont une véritable plaie dans les zones urbaines, va-t-elle dans le bon sens ?
La loi est bonne dans l’ensemble car elle prévoit un cadre d’intervention avec la création d’un nouveau délit. Pour le citoyen qui subit ce type de nuisance au quotidien, c’est plutôt une bonne chose. Les policiers n’ont plus besoin d’une plainte pour intervenir et c’est positif. Mais il y a quelques bémols. Nous regrettons que la saisie du véhicule ne soit pas suivie par sa destruction totale. C’est ce que nous avions demandé au moment où notre organisation avait été consultée dans le cadre de ce projet de loi. On avait également demandé que ces véhicules confisqués ne soient plus stockés dans les cours des commissariats. Nous n’avons pas été entendus sur ces aspects. Globalement, notre sentiment est mitigé car il nous semble que cette loi c’est d’abord de l’affichage et fait plaisir à l’électorat.
C’est une mission supplémentaire pour la police qui a déjà beaucoup à faire…?
La véritable difficulté c’est surtout l’application des sanctions. Il faut qu’elles soient réelles et non virtuelles. Les contrevenants encourent un an de prison et 15 000€ d’amende. Mais encore faut-il que cette peine de prison soit appliquée et qu’elle ne se transforme pas en aménagement de peine. C’est ce que nous craignons. Dans chaque nouvelle loi, il y a beaucoup de bonnes intentions au départ mais il faut qu’elle soit suivie d’effet.
Va-t-on assister à l’éradication du phénomène des rodéos ?
Les nouvelles lois nous confrontent aux difficultés à les faire appliquer. On le voit avec la loi sur le harcèlement de rue où on demande aux policiers d’interpeller les harceleurs. Tout ceci dans un contexte où le manque d’effecfifs est chronique. Lorsque les policiers se lancent à la poursuite des contrevenants, l’issue peut être dramatique, comme à Paris dernièrement. Des polémiques enflent alors que les policiers ne font que leur boulot. Les bonnes volontés ne suffisent pas. Les policiers luttent contre les trafics de stups et des lois très répressives les encadrent. Ce n’est pas pour autant que les trafics de drogue ont disparu. La faute à des sanctions qui ne sont pas assez appliquées.
Le chiffre : 1
an> Peine de prison. C’est la sanction encourue, assortie d’une amende de 15 000 €, pour tout conducteur répétant de façon «intentionnelle des manœuvres constituant des violations d’obligations particulières de sécurité ou de prudence…»