Le nombre de migrants mineurs pris en charge par l’aide à l’enfance devrait passer de 13 000 fin 2016 à 25 000 d’ici à la fin 2017.
Plusieurs conseils départementaux tirent la sonnette d’alarme.
Des adolescents discutent dans un salon du château du Haut Tertre, le 12 novembre 2002 à Taverny, où la Croix-Rouge a ouvert en septembre dernier un lieu d’accueil et d’orientation (LAO) pour mineurs étrangers isolés, arrivés à Roissy sans titre de séjour. / Mehdi Fedouach/AFP
Le phénomène des migrants de moins de 18 ans non accompagnés de leur famille est en train de changer complètement d’échelle. Alors que, en 2010, ils étaient 4 000 « mineurs isolés étrangers » (MIE) à être pris en charge par les départements, leur nombre a atteint le chiffre de « 13 000 au 31 décembre 2016 et s’élève actuellement à environ 18 000 », estime la sénatrice UDI de la Mayenne Élisabeth Doineau dans un tout récent rapport d’information cosigné par le sénateur de la Manche, Jean-Pierre Godefroy.
« À ce rythme, précise-t-elle, le nombre de MIE pourrait atteindre 25 000 d’ici à la fin de l’année, soit une multiplication par deux en l’espace d’un an. »
Alors que la route migratoire via la Grèce s’est beaucoup réduite depuis l’accord avec la Turquie de mars 2016, le flux des arrivées via l’Italie, puis, potentiellement la France quelques mois plus tard, croît d’autant plus.
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Or parmi ces migrants arrivés en Italie, « il y a un nombre important de mineurs qui semblent vouloir venir en France soit pour y rester, soit pour aller en Grande-Bretagne », observe Corinne Torre, chargée de mission à Médecins sans frontières (MSF) et de retour de Vintimille, à la frontière franco-italienne.
Des mineurs relevant de la protection de l’enfance
Un nombre croissant se présente aux services départementaux pour se faire reconnaître comme mineurs isolés. Car, conformément à la loi, les migrants mineurs ne sont pas soumis aux règles de séjour des étrangers. Comme tout enfant en situation de danger, ils relèvent de la protection de l’enfance, qui incombe aux départements, lesquels ont la responsabilité d’évaluer leur situation, puis d’héberger ceux qui sont reconnus comme mineurs (1).
Mais le système craque de toutes parts. Dans l’Isère, « jusqu’en 2015, nous avons eu à peu près 150 mineurs isolés qui sont arrivés. En 2016, c’était 723, et en 2017, compte tenu du flux, nous en attendons 1 400 », note Frédérique Puissat, vice-présidente du conseil départemental de l’Isère, en charge du dossier.
À Paris, note Dominique Versini, l’adjointe chargée de la protection de l’enfance, « nous avons fait 2000 évaluations en 2016, et en 2017 cela va probablement être 5 000 ». En Seine-Saint-Denis, 450 jeunes étaient pris en charge en 2015, contre 900 actuellement.
Et bien qu’une clé de répartition soit censée redistribuer les migrants reconnus comme mineurs sur le territoire en fonction du nombre d’enfants déjà pris en charge par chaque département, « tous les départements sont aujourd’hui concernés et voient leurs capacités d’accueil saturées », selon le rapport sénatorial. Avec de nombreuses conséquences.
Problèmes de place et d’âge
En premier lieu, les délais de traitement des évaluations explosent. « En novembre, le délai moyen était à peu près de huit jours, maintenant on est à trois bonnes semaines », indique Dominique Versini. Et les hébergements, y compris à l’hôtel, sont plus que pleins. « Nous avons saturé le dispositif de placements d’urgence ainsi que le dispositif classique de la protection de l’enfance, explique Frédérique Puissat, dans l’Isère. Aujourd’hui, la situation est telle que nous n’arrivons pas à mettre à exécution des décisions de placements ordonnées par le juge ! » pour les enfants non migrants.
Pour éviter cette situation, l’Isère a considérablement augmenté ses crédits dédiés aux mineurs étrangers : « Financièrement, on était en 2016 à 3,9 millions d’euros pour les mineurs non accompagnés. Puis, le 30 juin 2017, on a rajouté 5 millions d’euros et il faudra sans doute encore voter 4 millions de plus d’ici fin 2017. »
« On n’arrête pas d’augmenter nos moyens, confirme aussi Dominique Versini. On a dû multiplier par quatre le nombre de nos places d’hébergement. » De fait, Anne Hidalgo, la maire de Paris, qui a présenté jeudi 6 juillet un plan global pour l’accueil des migrants, souhaiterait que l’évaluation des mineurs isolés soit désormais sous la responsabilité de l’État, y compris financière.
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Mais ce n’est pas le seul problème. Selon les statistiques nationales, seuls 40 % des jeunes migrants sont reconnus comme mineurs. Ce qui veut dire que « des milliers de très jeunes migrants, déboutés de la reconnaissance de minorité, se retrouvent sans protection, c’est-à-dire sans logement, sans nourriture et à la merci de tous les trafics », précise Corinne Torre, de MSF. Auxquels s’ajoutent les mineurs devenus majeurs, qui eux non plus ne sont plus protégés.