Le Parquet national antiterroriste : une mauvaise idée pour les magistrats
La ministre de la Justice a annoncé la création de cette « force de frappe judiciaire antiterroriste ». Une initiative contestée naguère par François Molins.
La ministre de la Justice Nicole Belloubet a annoncé lundi la création d’un parquet national antiterroriste, pour faire face à « une menace sans commune mesure » en France, où des attentats djihadistes ont fait 241 morts depuis 2015. L’objectif du gouvernement est de « disposer d’une véritable “force de frappe judiciaire antiterroriste” », a déclaré la garde des Sceaux devant des procureurs réunis à l’École nationale de la magistrature.
Actuellement, le parquet de Paris est compétent au niveau national pour tous les dossiers terroristes. Ce nouveau parquet national sera le deuxième spécialisé après la création en 2013 du Parquet national financier (PNF), né du scandale des comptes cachés de l’ex-ministre du Budget Jérôme Cahuzac. « Avec la création d’un Parquet national antiterroriste (PNAT), le parquet de Paris se verrait ainsi dégagé de ce contentieux lourd et spécifique. Il serait ainsi plus efficace et plus visible. Le PNAT aurait quant à lui toute la disponibilité pour recentrer son activité sur cette mission essentielle », a-t-elle souligné, sans donner de date d’installation pour cette nouvelle instance et sans donner le nom du magistrat qui en prendra la tête.
Le terrorisme, « principal défi de la justice »
Alors que la France vient de sortir du régime d’exception de l’état d’urgence, que plusieurs lois sont venues récemment durcir la lutte contre la criminalité et le terrorisme, la ministre a estimé que la lutte contre le terrorisme était « le principal défi » de la justice. La menace, principalement incarnée aujourd’hui par le groupe État islamique, « devrait vraisemblablement perdurer à un niveau élevé au cours des prochaines années pour plusieurs raisons » : à la fois du fait d’une « menace exogène d’actions terroristes planifiées de l’extérieur » et d’une « menace endogène » de personnes radicalisées en France, selon la ministre.
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En outre, la prison « apparaît comme un incubateur très préoccupant de la menace compte tenu du nombre très important de détenus pour terrorisme et de radicalisés de droit commun », relève Nicole Belloubet, précisant que les prisons françaises comptent 509 détenus pour des faits de terrorisme et 1 157 personnes radicalisées. Selon le gouvernement, environ 1 700 Français sont partis rejoindre les zones djihadistes irako-syriennes depuis 2014, dont 700 s’y trouveraient encore. Fin novembre, quelque 300 étaient revenus en France, parmi lesquels 66 femmes et près de 60 mineurs.
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« Mauvaise foi »
La création d’un parquet national antiterroriste est réclamée par la droite depuis plus de deux ans. Nicolas Sarkozy en avait même fait un de ses thèmes de campagne dans sa course à la primaire des Républicains. Dans une interview au Monde, l’ancien secrétaire national de l’UMP à la Justice, Jean-Paul Garraud, imaginait ainsi un procureur entièrement dévoué à la lutte antiterroriste – à la différence de François Molins qui doit également gérer le parquet de Paris – et qui disposerait « d’un nombre conséquent et pérenne de magistrats spécialisés et serait doté d’un maillage territorial fort ».
Une proposition rejetée par le ministre de la Justice d’alors, Jean-Jacques Urvoas, qui avait évoqué, auprès du Point , un « modèle parfaitement inadapté » : « Le soir des attentats du 13 novembre, il n’y avait pas seulement huit magistrats mobilisés. Ils l’étaient tous. » Trois mois plus tard, c’est au tour de François Molins d’enterrer la mesure dans Le Monde : « Je ne sais pas si cela relève de l’ignorance ou de la mauvaise foi ! Depuis trente ans, la justice antiterroriste fonctionne de manière centralisée et spécialisée. Le dispositif actuel est un gage d’efficacité et de cohérence : les parquetiers de la section antiterroriste ne font que du terrorisme, les juges d’instruction spécialisés ne font rien d’autre, et tous les procès correctionnels passent devant la même chambre, la 16e. »
« Aberration »
Ce sont aujourd’hui peu ou prou les arguments repris par l’USM dans son communiqué publié en réaction à cette annonce. « L’organisation du parquet de Paris permet à la section antiterroriste d’être renforcée par les autres sections, y compris en urgence, en cas de besoin, fait valoir le syndicat. Se priver d’une telle souplesse de réactivité par la création d’un parquet distinct, cloisonné, est une aberration, qui, de surcroît, ne facilitera pas les interconnexions avec le suivi d’autres affaires, notamment en matière de criminalité organisée. »
Des arguments qui, visiblement, n’ont pas convaincu la ministre.