Le Sénat rejette l’idée d’expulser les fichés S
Neuf jours, à peine, après l’attentat de Strasbourg survenu le 11 décembre dernier et qui a fait, rappelons le, cinq morts et onze blessés, la commission des lois du Sénat a rendu un rapport dans lequel elle rejette toute idée d’expulsion ou d’internement des fichés S.
Et pour justifier leur position, les sénateurs soulignent, notamment, la mauvaise compréhension qui est généralement faite de ce fichier, ainsi qu’une surmédiatisation qui nuit gravement à l’image de ce qui n’est, en réalité, qu’un outil d’information et d’enquête à l’usage des services de police et de renseignement. En l’état actuel de notre droit, qu’on le veuille ou non, la position retenue par la chambre haute du Parlement est parfaitement justifiée. Pour s’en convaincre, il suffit de revenir à ce que sont vraiment ces fiches et ces fichiers.
La fiche « S » n’est qu’une des nombreuses catégories qui composent le Fichier des personnes recherchées (FPR). Ce fichier, créé en 1969, comporte plusieurs centaines de milliers de fiches qui vont de « E » (police générale des étrangers) à « T » (débiteur envers le Trésor) en passant par « PJ » (recherches de police judiciaire).
Les fiches « S », dont on estime le nombre à près de 30.000, sont le plus souvent émises par la DGSI. Le fichage est européen et peut provenir d’une collaboration internationale. La personne concernée ne réside pas forcément sur le territoire français. D’un point de vue opérationnel, la fiche « S » n’entraîne aucune forme de coercition, elle n’est qu’un signalement. La personne visée par une fiche « S » ne le sachant pas forcément. Enfin, la fiche « S » ne signifie pas que la personne fichée est surveillée. Simplement qu’elle a, à un moment ou à un autre, attiré l’attention sur elle. De ce fait, la fiche « S » comporte un certain nombre de points faibles. D’abord, elle est loin de ne concerner que les terroristes islamistes potentiels. En effet, un altermondialiste opposé à Notre-Dame-des-Landes, par exemple, peut très bien être fiché « S » (sûreté de l’État). Ensuite, leur déclinaison. Actuellement, la fiche « S » est déclinée en 16 niveaux. Cependant, ces niveaux ne désignent pas la dangerosité que représente l’individu fiché, ils désignent les actions à entreprendre par les forces de l’ordre lors d’une interpellation ou d’un contrôle d’identité. Cela peut aller de « signaler le passage » à « procéder à l’interpellation ». Enfin, le nombre (trop) important de fichés « S » répertoriés.
Afin de pouvoir prendre de réelles mesures de sûreté, il conviendrait donc d’établir un fichage spécifique pour les individus soupçonnés de terrorisme (« To », par exemple). De faire apparaître sur la fiche le niveau estimé de dangerosité de l’individu concerné. De faire procéder à des surveillances policières, réelles et continues, pour les individus les plus menaçants. D’assigner à résidence, ou d’astreindre au port du bracelet électronique, les individus contre lesquels il existe des indices graves et concordants permettant de soupçonner un passage à l’acte possible et imminent.
En tout état de cause, l’expulsion d’un étranger fiché « S », l’internement ou une décision d’indignité nationale à l’encontre d’un national (mesure à créer) ne pourraient intervenir qu’après qu’une juridiction se serait définitivement prononcée. Il en est ainsi dans un État de droit et le Sénat ne pouvait faire autrement que de rappeler ces règles élémentaires de fonctionnement de notre Justice. Il appartient donc, maintenant, aux politiques de se saisir de ce dossier dans les plus brefs délais afin de trouver et de mettre en œuvre les mesures à même d’assurer la sécurité des Français.