Les 2 islams : en France, actuellement, la situation est inquiétante, car l’islam traditionnel gagne du terrain contre l’islam des Lumières.
Les trois islams de France
Le plus célèbre institut de sociologie d’Europe, le WZB – 160 chercheurs, financés à 50 % par l’État fédéral et à 50 % par la ville de Berlin -, a fait en 2013 un sondage sur les musulmans dans six pays d’Europe, dont la France. Ce sondage donne des résultats très semblables dans les divers pays d’Europe. Il montre qu’il y a trois islams en France, comme en Europe.
Il y a en France un premier groupe de musulmans – environ un million de personnes – qui acceptent pleinement les lois de la République et dont l’islam, explicitement parfois, le plus souvent implicitement, est celui des Lumières. La plupart n’ont pas lu le Coran mais, mis en présence des contradictions entre le Coran et la République, ils choisissent invariablement la République.
Leur opinion est exprimée par la réponse que m’a faite un jour une musulmane d’une quarantaine d’années, sans voile. Elle se disait totalement musulmane, et totalement française. Devant le verset ordonnant la mise à mort des musulmans qui ne croient plus à l’islam, elle a commencé par nier qu’un tel verset puisse exister. Je lui ai ouvert un Coran à la bonne page. Elle a lu le verset, puis a dit tranquillement : « Le Coran, j’en prends et j’en laisse. » Je lui ai répondu : « Bienvenue en France. »
Ce premier groupe est intellectuellement parfaitement cohérent. Son islam des Lumières n’est pas toujours explicite, mais il est ferme et n’a nulle incompatibilité avec nos traditions, nos lois et nos valeurs.
Le deuxième groupe – environ un demi-million de personnes – est dans une situation intermédiaire, en partie rallié aux valeurs françaises, en partie restant lié aux pratiques musulmanes.
Leur acceptation de certaines valeurs françaises les conduit à des réticences importantes sur certains fondamentaux de l’islam, tels les mariages forcés des petites filles et des jeunes filles et l’usage de la violence contre les non-musulmans, en particulier les attentats.
Leur choix partiel de l’islam traditionnel leur fait exiger le voile qui manifeste publiquement l’infériorité de la femme, souhaiter des lois particulières sur les relations hommes-femmes, et ils vont jusqu’à excuser, voire approuver, certaines violences physiques contre les musulmans, et surtout les musulmanes, qui ne veulent plus de l’islam.
Ils se disent à la fois musulmans et français, et tâchent d’oublier les contradictions entre « les lois d’Allah » et « les lois des hommes », c’est-à-dire entre l’islam et la France.
Leur position est inconfortable parce qu’incohérente : ils veulent à la fois l’essentiel de l’islam traditionnel et la citoyenneté française. J’ai rencontré un jeune musulman d’origine marocaine, venu en France faire un master d’informatique, qui est emblématique de ce groupe. Il a commencé par me dire : « Je suis musulman et je préfère mourir que cesser de l’être. » Je l’ai interrogé : « Dans ce cas, vous croyez que le Coran a été écrit par Allah, en arabe, avant la fondation du monde, il y a 14 milliards d’années ? » Sa réponse, à regret : « Ça, on peut pas croire… »
Le troisième groupe – environ quatre millions et demi de personnes – a une position parfaitement cohérente : ils refusent violement les lois de la République, choisissent sans ambiguïté ni réticences l’islam traditionnel, trouvent parfaitement légitimes les violences physiques, allant même jusqu’à la mort, pour les musulmans et musulmanes qui abandonnent l’islam, et jugent le plus souvent les attentats légitimes – parfois simplement excusables, jamais condamnables.
Je n’ai pas rencontré d’islamistes revendiqués, partisans de Daech ou d’Al-Qaïda, mais cette radicalité est partie intégrante de l’islam traditionnel. Ceux qui disent « Ce n’est pas cela, l’islam » se trompent. Ils ignorent les textes fondateurs et les pratiques séculaires. Sans être le seul islam possible, l’islamisme est conforme aux textes fondateurs et au consensus des légistes.
Les musulmans qui se reconnaissent dans cet islam radical, que leur fanatisme soit exprimé avec virulence ou d’expression plus retenue, s’opposent explicitement à la France, veulent détruire par la force ses institutions dès qu’ils seront suffisamment nombreux pour le faire, et éprouvent majoritairement une haine explicite et violente contre les Français, la France, ses lois, ses coutumes et sa culture. Avec eux, la fracture culturelle est complète.
En France, actuellement, la situation est inquiétante, car l’islam traditionnel gagne du terrain contre l’islam des Lumières. Ce troisième groupe se radicalise et recrute de nouveaux adeptes, au détriment des deux autres. Désormais, les rues sans femmes ne se trouvent plus seulement dans nos « territoires perdus » mais en plein Paris.