Les collectivités mobilisées face à la menace terroriste dans les transports
Les collectivités mobilisées face à la menace terroriste dans les transports
Même si la lutte contre le terrorisme est l’affaire de l’Etat, les régions et les intercos ont un rôle à jouer pour sécuriser les transports publics. Vidéosurveillance, polices municipales, services de sécurité mais aussi médiation font partie de la palette des solutions mises en œuvre.
Deux ans après l’attentat manqué du Thalys reliant Amsterdam à Paris, la sécurisation des transports publics est devenue une priorité des opérateurs locaux. Car, si la lutte contre le terrorisme reste une mission régalienne, la plupart des acteurs du transport public ont désormais investi ce champ très sensible.
A peine élus en décembre 2015, les nouveaux exécutifs des régions ont mis en œuvre une série de mesures en matière de sécurité. Ainsi, le conseil régional d’Auvergne-Rhône-Alpes, présidé par Laurent Wauquiez, a lancé en novembre 2016 un plan doté d’environ 100 millions d’euros pour sécuriser les gares et les trains, voulu comme « le plus ambitieux de France ».
Concrètement, la collectivité finance le doublement, en cours, des effectifs de la Suge, le service interne de sécurité de la SNCF (80 agents initialement). Elle met aussi le paquet sur la vidéosurveillance : un centre de supervision régional pour centraliser les images des gares équipées doit être créé l’année prochaine. Plus d’une centaine de gares seront équipées de caméras, tout comme la totalité des TER. « Les collectivités territoriales peuvent aider à la sécurité du citoyen », plaide le commissaire Philippe Dussaix, embauché pour piloter la politique de sécurité de cette région.
Portiques de sécurité
Sa voisine Paca, dirigée par Renaud Muselier, a annoncé des mesures similaires, tel le renforcement des effectifs de la Suge. Elle a également déployé des portiques de sécurité fixes dans huit gares de TER, complétés par des portiques mobiles dans 39 autres gares, soit un tiers des stations, permettant le contrôle des trois quarts des voyageurs (lire le témoignage de Philippe Tabarot). Ce dispositif avait été testé en novembre 2016 à la station des Arcs, en Savoie. Il ne fait toutefois pas l’unanimité, certains, comme Marc Vuillemot, le maire de La Seyne-sur-Mer (Var), jugeant l’installation d’un portique mobile « stigmatisante » et « injuste ».
En la matière, Paca fait cavalier seul. L’installation de portiques de sécurité n’a pas été retenue par les autres régions, ni par la SNCF, qui la réserve au Thalys. Et si Auvergne – Rhône-Alpes et l’Ile-de-France installent également des portiques de sécurité, elles le font dans les lycées, non dans les transports publics. Cette dernière région, par le biais d’Ile-de-France Mobilités (1), a annoncé d’importants investissements, à commencer par la création d’ici à l’automne 2019 d’un PC sécurité regroupant à Paris les agents dédiés à la préfecture de police et ceux de toutes les sociétés de transport en Ile-de-France.
Parmi les mesures d’ores et déjà sur les rails : l’installation de caméras dans les gares routières, la mise en place d’un service de sûreté dans les bus de la grande couronne et la création, par la SNCF, d’une équipe cynophile affectée à la recherche d’explosifs. « Nous n’avons pas de compétence directe, mais nous voulons aider au maximum les acteurs », souligne Frédéric Péchenard, vice-président de la région chargé de la sécurité.
Des agents dans les bus
Autant d’actions encouragées par la loi dite « Savary » du 22 mars 2016 sur la sécurité dans les transports, qui a entériné un large éventail de mesures. Il s’agit par exemple de la fiabilisation des données des contrevenants, de la modification du délit de fraude d’habitude, de l’accroissement des pouvoirs de la Suge et du rôle des polices municipales (lire le témoignage de Benoît Juéry), de la création de services internes de sécurité. « La loi Savary et le décret du 3 mai 2016 – qui a mis à jour les comportements répréhensibles que les agents peuvent sanctionner et modifié le montant des amendes pour les ajuster à la réalité – répondent à 90 % des demandes portées par les entreprises de transport public », salue Benoît Juéry, directeur du département des affaires sociales de l’Union des transports publics et ferroviaires (UTP).
En Ile-de-France, cette loi va entraîner l’embauche de 200 agents affectés à la sûreté des bus de la grande couronne, en plus du réseau de 455 médiateurs en place. La présence de ces derniers, estime Ile-de-France Mobilités, est « rassurante mais insuffisante en cas de conflit ». Les services de sécurité rattrapent la médiation. Au risque de diminuer les crédits de ce secteur ? Le premier opérateur français de médiation sociale, Citéo, se prépare à travailler davantage avec des services de sécurité. L’appel d’offres relatif à l’exploitation du réseau de transport public de la métropole européenne de Lille pourrait bien déboucher sur la création d’un nouveau service de sécurité. Ce qui changerait les habitudes. « Le processus sera enrichi d’un acteur supplémentaire, ce n’est pas inintéressant pour la médiation sociale : la solution n’est ni dans le tout sécuritaire, ni dans le tout prévention », observe Antonio Furtado, directeur adjoint « exploitation, projets, qualité » de Citéo.
Armement
Depuis les attentats, le métier des agents de médiation sociale de Citéo a déjà bien évolué. « Les événements n’ont pas modifié notre organisation, mais nous avons renforcé notre vigilance », détaille Antonio Furtado. Formation aux mesures du plan Vigipirate et à la gestion du stress, veille technique dans les rames… la médiation joue aussi un rôle face à la menace terroriste. « Nos médiateurs doivent être capables d’identifier des publics vulnérables ou les discours de provocation, et de mieux réagir aux situations de tension », explique le directeur adjoint de Citéo.
Si la menace est nouvelle, les acteurs locaux ont, comme Citéo, de la bouteille. Un réseau de correspondants, fort d’une vingtaine de responsables, a ainsi été mis en place à l’UTP dès 1995. Depuis sept ans, ce groupe de travail s’est élargi aux questions ferroviaires au-delà des seuls réseaux de transport urbain. La métropole d’Orléans (22 communes, 279 600 hab.), autre acteur local emblématique de la sécurité des transports, a mis en place une police municipale intercommunale des transports dès 2004.
Aujourd’hui, toutes les communes de la métropole sauf une sont associées à ce dispositif, qui compte trois agents de surveillance et onze gardiens de police municipale. Ces derniers sont désormais armés. Une décision prise avant les attentats de 2015, mais qui s’est imposée après ces événements dramatiques. « Je ne dis pas que l’armement est la seule réponse, mais la présence d’une police municipale armée permettrait de neutraliser plus rapidement des terroristes », précise François Lagarde, conseiller métropolitain chargé de cette police des transports.
Ces innovations sont-elles vraiment synonymes d’une sécurité accrue pour les usagers ? Impossible de le garantir. « Nous sommes face à des gens qui s’adaptent », avertit ainsi Raymond Carter, auteur de « La sûreté des transports » (2). Cet ancien gendarme appelle les collectivités à travailler sur la sensibilisation, la formation aux premiers secours et le… savoir-être. « Un sourire permet de dégager une tension et, dès lors, l’ambiance devient différente, souligne-t-il. Cette humanisation, en cas de problème, permet aux usagers de réagir ensemble. »
Focus
« La coopération des différents acteurs sur le terrain est cruciale »
Benoît Juéry, directeur du département des affaires sociales de l’Union des transports publics et ferroviaires (UTP)
« La loi “Savary” de 2016 permet aux polices municipales de jouer un rôle accru en matière de sûreté dans les transports publics. La coopération des acteurs sur le terrain est un point clé pour lutter contre l’insécurité. Quand la coordination est bonne entre les services de police et de gendarmerie, le parquet, les polices municipales et les opérateurs, la lutte contre l’insécurité et contre la fraude est plus efficace. Les contrats locaux de sécurité, par exemple, se sont avérés très utiles quand les acteurs concernés étaient bien sensibilisés à la problématique et les faisaient fonctionner. »
Focus
« Les portiques sécurisent les gares et font chuter la fraude »
Philippe Tabarot, vice-président de la région Paca, délégué aux transports et à l’intermodalité
« Nous avons mis en place des portiques de sécurité, fixes ou mobiles, dans un tiers des gares de la région. Le train est un mode de transport à l’accès rapide et il est difficile de ralentir ce flux. Je ne veux pas laisser penser que toute personne montant dans un train sera contrôlée. Cela serait faux aujourd’hui. Quand le flux de voyageurs est important, le contrôle peut être aléatoire. Mais les périmètres sont contrôlés et surveillés. Notre premier bilan, après l’expérimentation aux Arcs, c’est que nous trouvons des choses improbables qui n’ont rien à faire dans les trains. Nous avons eu des saisies d’armes blanches, de coups-de-poing américains… Indirectement, il y a un effet sécurisant dans les gares. Les personnes qui avaient l’habitude de faire régner la terreur s’en vont. Et nous constatons une chute importante de la fraude, alors que nous étions une région record. »