Les communes retissent les liens entre police et population
B.Holsnyder
En multipliant les échanges entre la police et la population, l’objectif est d’amoindrir le sentiment d’insécurité et d’œuvrer à une meilleure compréhension mutuelle. Les quartiers de la politique de la ville et les zones de sécurité prioritaire sont des terrains sur lesquels ce type d’actions est particulièrement nécessaire. Rencontres en petit comité, actions sportives ou artistiques avec des adolescents, groupes de réflexion : plusieurs pistes prometteuses ont été initiées.
Comment réconcilier les habitants avec leurs policiers ? Huit mois après l’affaire Théo, du prénom de ce jeune homme gravement blessé par des policiers lors d’une interpellation à Aulnay-sous-Bois, en Seine-Saint-Denis, la question des rapports population-police reste lancinante. Particulièrement dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville, où le dialogue est parfois complètement rompu.
Si le ministère de l’Intérieur incite depuis plusieurs années déjà à favoriser un lien de confiance entre les habitants et les forces de sécurité de l’Etat avec le déploiement de caméras-piéton, la refonte du code de déontologie ou le port visible du numéro d’immatriculation, c’est également un terrain que les collectivités investissent.
Pour Elizabeth Johnston, déléguée générale du Forum français pour la sécurité urbaine, « les élus locaux ont un rôle clé à jouer » dans la relance du débat et des échanges entre « la police, la gendarmerie, la police municipale, les services de sécurité privée » et les habitants. Une fois mobilisés, ils doivent être « des intermédiaires et des facilitateurs » de relations et de partenariats locaux, précisait-elle au cours d’un colloque organisé en juin à ce sujet à Paris par l’Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice.
Observer les comportements
En Gironde, un observatoire territorial des relations police-population a ainsi été lancé en 2013 pour la zone de sécurité prioritaire de la rive droite de Bordeaux, à l’initiative du délégué du préfet chargé de la politique de la ville. Il réunit plusieurs acteurs locaux comme les maires, les conseils locaux de sécurité et de prévention mais aussi des représentants des conseils citoyens ou des éducateurs afin de mettre au point des actions au niveau local et pouvoir en assurer le suivi.
« Il n’y a pas d’imperméabilité de ces territoires. Ils ont certes leurs spécificités mais on est plus sur des sujets liés à des ensembles urbains qu’à des communes séparément », estime Samuel Bouju, directeur de cabinet du préfet.
Un questionnaire élaboré par des sociologues, distribué aux policiers et aux habitants, a d’abord permis de dresser un état des perceptions mutuelles avant de conduire des sessions d’informations sur les différents métiers de la police et même un module de préparation aux concours. Selon lui, il y a d’abord une méconnaissance de la police et des métiers qu’elle recouvre, ne serait-ce qu’à minima les différences entre une police nationale et une police municipale ou les suites judiciaires d’une intervention policière.
Au cœur de ces missions de communication figurent déjà par exemple les délégués à la cohésion police-population, créés dès 2008, qui peuvent rencontrer les habitants dans un cadre plus informel pour répondre à leurs questions, débattre d’éventuelles situations auxquelles ils ont été confrontés ou de leur cadre de vie puis faire le lien avec les autres acteurs comme les élus, les services municipaux ou les bailleurs sociaux.
Un catalyseur des tensions
La police peut, en effet, cristalliser les tensions ressenties par les habitants qui se sentent isolés et oubliés. Ce ressenti a été le point de départ d’une action lancée dans une des communes de la métropole bordelaise, Bassens. « On a eu envie de lever des fantasmes sur la police nationale et montrer qu’elle n’était pas là qu’en cas d’incivilités. Depuis la fermeture du centre social dans le quartier en 2009, il y a eu un passage compliqué, nous avons voulu prouver qu’on pouvait continuer à monter des projets », soutient Olivia Robert, conseillère municipale chargée de la politique de la ville et de la prévention de la délinquance.
Une compagnie de théâtre a ainsi interviewé plusieurs policiers nationaux, municipaux mais aussi des acteurs du quartier pour pouvoir restituer des scènes inspirées de faits réels et interagir avec des jeunes jouant leur propre rôle dans la salle comme des contrôles d’identité, une visite officielle ou des incompréhensions sur la procédure pénale. Une représentation aux allures de débriefing pour désamorcer les éventuels malentendus. Il est encore difficile de mesurer les conséquences de ce type d’actions, même si l’élue note « moins d’abris de bus cassés ou de boîtes à lettres détériorées ».
Dans la zone de sécurité prioritaire d’Amiens nord, les policiers ont repris le dialogue avec les jeunes en les sensibilisant à la conduite à risque des deux-roues motorisés. « C’était la problématique la plus criante et la conduite dangereuse de jeunes cristallisait les tensions. Il est plus facile de partir d’un sujet précis pour aborder ensuite les représentations et les perceptions », raconte Anna Grabowicz, cheffe du service « prévention et médiation » de la ville.
Cinq jeunes présélectionnés par des animateurs « jeunesse et prévention spécialisée », cinq mères de familles et cinq policiers nationaux et municipaux font partie d’un groupe de réflexion, encadré par le personnel communal et le service « prévention et médiation ».
Ils ont formulé plusieurs propositions d’actions, dont l’organisation d’une fête du casque qui a accueilli quelque 300 personnes au printemps.
[Argenteuil (Val-d’Oise) 108 900 hab.]
La ville joue le rôle de facilitateur
En un après-midi de mai, une trentaine de jeunes des quartiers du Val-Sud et du Val-Notre-Dame, à Argenteuil, se prête à un exercice inhabituel : une rencontre-débat avec des forces de l’ordre organisée par l’association de policiers Prox’Aventure, en collaboration avec la mairie. Un jeune fait remarquer qu’aucun membre de la police nationale locale n’est présent, seulement un policier municipal.
« S’ils étaient là aujourd’hui, on se serait peut-être dit bonjour ensuite. On a l’impression qu’ils viennent toujours pour nous prendre dans leurs filets », pointe Rayane. « Pour ceux qui travaillent ici, ce n’est peut-être pas évident de pouvoir communiquer avec vous », souligne Quentin Gourdin, policier à Paris et bénévole de l’association. « Il faut aussi qu’ils s’y préparent », ajoute Gérard Lesage, policier retraité délégué à la cohésion police-population à Argenteuil.
Pendant cette rencontre, lorsqu’un jeune prend la parole, c’est souvent pour raconter sa propre expérience ou celle d’autres jeunes avec les forces de sécurité. Contrôle d’identité, violences policières, garde à vue. A chaque fois, les policiers demandent des détails et leur rappellent l’existence d’autorités qui peuvent se saisir de ces cas comme l’ IGPN . Pour Dominique Denon, directeur adjoint de la police municipale, ce cadre est inédit : « Ce genre de rencontres n’existait pas à l’époque. Le dialogue peut s’installer dès lors que les deux parties ne se sentent pas mutuellement agressées. »
Contact : Quentin Gourdin, quentin.gourdin@proxaventure.org
Références
Les initiatives locales encouragées
Un appel à projets national, renouvelé chaque année, encourage des initiatives locales émanant de collectivités et d’associations pour l’amélioration des relations police-population, notamment avec les jeunes âgés de 12 à 25 ans. Les financements proviennent du Commissariat général à l’égalité des territoires et du Fonds interministériel de prévention de la délinquance.