Les Lauriers à Marseille : l’état-major du trafic de drogue sur le gril
Le tribunal a entendu hier le haut de la pyramide. Restent les frères Ahamada
Douze surveillances pour l’un, un peu moins pour l’autre, un peu plus pour le dernier : des 68 opérations millimétrées, conduites pendant dix mois par la police à la cité des Lauriers (13e), sont remontées une série de mises en cause. Vingt-sept prévenus jugés depuis une semaine et des analyses qui diffèrent, selon que l’on se trouve sur le banc du tribunal ou sur celui de la défense.
Les conseils des trafiquants estiment que les policiers se sont bien gardés de décrire tout ce qu’ils voyaient, ce qui aurait pour effet de fausser le jugement qu’on peut avoir de ce dossier. Instruction à charge, scandent-ils. Pendant ce temps, la présidente Estelle de Revel déroule ses questions sans ciller. Elle cherche à comprendre ce que chacun des membres du « clan des blacks » faisait à longueur de journée au pied des bâtiments. Et au sixième jour du procès, c’est l’état-major, le haut de la pyramide qui a commencé à être entendu hier.
« C’était comme une mère »
Younès Laateur, 28 ans, dit « Pierre » ou « Pierrot », comparaît libre. Footballeur de bon niveau, il explique que s’il se rendait aux Lauriers, c’était « pour faire des barres de traction »parce qu’il est sportif. Il passait aussi le balai et livrait les sandwiches. Un rôle qui intrigue le tribunal. Quand la présidente le suspecte de « faire la relève », il soutient qu’« en trois minutes, ce n’est pas possible ». Et s’il venait là, « c’est parce qu’on refaisait (ailleurs) le terrain synthétique de son club ».« C’est la première fois que vous le dites ! » l’apostrophe la juge. Younès Laateur soutient qu’il venait voir des amis. « Qu’est-ce que vous venez faire là, si vous n’avez rien à y faire, alors qu’on sait qu’il y a 900 clients par jour sur ce point de vente ? »interroge le magistrat. « C’est pas parce que je reste avec ces gens-là que ça fait de moi un trafiquant ! » s’énerve le prévenu. « Ça fait de vous, à tout le moins, un imprudent ! »riposte la présidente.
Un autre jour, on le voit remettre une enveloppe à un individu qui la cache dans son pantalon. Le mis en cause explique qu’il s’agissait de son contrat d’intérim… « Vous pouvez pas gamberger comme on gamberge, nous. Vous n’avez pas grandi au quartier ! » lance audacieusement Laateur. Avec d’autres, il s’est aussi rendu en Algérie début novembre 2014 pour se recueillir sur la tombe de Foued Sayah, tué le 23 juin 2008, l’un des premiers morts dans la guerre présumée des blacks contre les gitans. Certains y verront une manière de solidarité forte entre trafiquants de drogue. Les intéressés plaident la compassion pour « Tata », cette femme meurtrie : « C’était comme une mère. »
« Ça fait beaucoup pour un lycéen ! »
Chaer Ali Mohamed, 25 ans, comparaît détenu. Lui aussi conteste. S’il se promenait aux Lauriers, c’est parce qu’il faisait « de la mécanique sauvage »…Mais il soutient qu’il n’a « rien à cacher ». Lui aussi donnait parfois de l’argent à « Tata » : « Pas beaucoup. On se cotisait, 5 à 10 € chacun pour qu’elle puisse manger de la viande. » Le prévenu n’aime pas les amalgames. Et il jette un regard noir en direction de « la presse à scandales », qui a eu le culot d’évoquer le triple homicide de Sainte-Marthe de 2009, dans lequel quatre des prévenus de ce procès sont de nouveau mis en examen, depuis le mois de juillet dernier, après avoir bénéficié d’un non-lieu.
Oubaya Ahamada, 23 ans, le plus jeune des frères, est interrogé à son tour. Le 5 novembre 2014, il commande « à manger pour en haut ».Il est aussi question de « deux tricots »contre un « marron ». Échanges sibyllins qui font bondir la défense, qui n’y voit nulle preuve. Et quand on découvre plus de 5 600 € à son domicile, alors qu’il est très jeune, « ça fait beaucoup pour un lycéen ! »badine la présidente. Fin des débats aujourd’hui.
Denis Trossero