Soupçonné d’avoir loué un squat à Abdelhamid Abaaoud, le prévenu assure que ce serait comme imaginer « Snoop Dogg [faire] des soirées avec Ben Laden ».
PAR MARC LEPLONGEON
C’est dans un véritable flot de paroles, de propos décousus et de sorties délirantes que la présidente Isabelle Prévost-Desprez va devoir trouver une vérité judiciaire : Jawad Bendaoud a-t-il logé Abdelhamid Abaaoud, terroriste du 13 novembre 2015, par pure bêtise ou en toute connaissance de cause ? La réponse se cache quelque part dans la 16e chambre du tribunal correctionnel de Paris, derrière une grande vitre en verre dont ne dépasse qu’un crâne. Là se tient Jawad Bendaoud, cheveux longs gominés et noués par un chouchou blanc, la voix saccadée et le débit plus rapide qu’une rafale de kalachnikov.
La comparaison n’est pas douteuse : tout chez lui apparaît choquant, déplacé, dissonant. On lui parle de morts, il répond par une blague. Il veut faire rire autant qu’il veut convaincre. Il porte une veste rouge, celle du Paris Saint-Germain (PSG). La même, tient-il à préciser, que celle qu’il portait « quand Abdelhamid Abaaoud est entré chez [lui] » ce soir du 17 novembre 2015. Sur BFM TV, Bendaoud était un pitre. En prison, c’était le diable. « 666 », c’est comme ça que les radicalisés l’appelaient. « J’étais le mec qui a des grosses photos de cul dans sa cellule », complète Jawad Bendaoud. Humour ou bêtise, il faut choisir.
Sa rencontre avec Hasna
Le 13 novembre 2015, pendant que les kamikazes explosent au Bataclan et ensanglantent les rues de Paris, Jawad est chez ses parents. Il arrive dans le salon, « tape deux cuillères dans les lentilles-bœuf », le dîner de son père. À la télé, il y a « des petites pancartes avec des symboles d’explosifs », confie-t-il. La carte des attentats. Son père lui glisse : « Ils sont tous morts. » Jawad jure ne pas s’être attardé devant les informations. Le soir même, dit-il, une de ses maîtresses l’a appelé pour lui dire qu’elle était enceinte : « J’avais la tête ailleurs. J’étais en train de me demander comment j’allais gérer ça. »
Le lendemain, Mohamed Soumah, avec qui il traficote du cannabis et de la cocaïne, l’appelle. Il a besoin d’un service. En fin d’après-midi, le dealer débarque dans un des squats de Jawad, rue du Corbillon, à Saint-Denis. Il est accompagné d’une certaine Hasna. « La première chose qu’elle me demande, c’est si elle peut fumer », témoigne Jawad. La cousine d’Abaaoud a déjà sa cigarette au bout des doigts. Hasna explique chercher un logement pour quelques jours pour son frère et son cousin, en provenance de Belgique. Jawad monnaie. Ce sera 150 euros pour trois jours. « À aucun moment, je suis au courant de quoi que ce soit », répète-t-il comme un mantra. Il rentre chez lui, fume, beaucoup, s’enfonce dans un brouillard de cocaïne.
« Trois jours de fils de pute »
Le 17 novembre, Hasna revient, cette fois-ci accompagnée de son cousin, l’homme le plus recherché de France, jusqu’alors caché dans un buisson. Abaaoud lui dit avoir passé « trois jours de fils de pute » et le congédie rapidement. Il n’a besoin de rien, lui prend le balai qu’il a entre les mains, l’air de dire : « Allez, maintenant, casse-toi, va-t’en », explique Bendaoud. « Seulement, ça, je ne m’en étais pas rendu compte sur le coup », assure-t-il. Le terroriste lui demande où se trouve la direction de La Mecque, Bendaoud ne sait même pas : « Je fais pas la prière, moi, frère. » Une des dernières paroles que Jawad adressera à l’homme qui vient de tuer 130 personnes dans Paris au nom de sa religion.
Devant le tribunal, Jawad persiste, jure ne pas avoir su qui il avait en face de lui. « C’est comme si on pensait que Snoop Dogg faisait des soirées avec Ben Laden », lance-t-il. Ce soir-là, ajoute-t-il, en quittant Abaaoud, se serait-il vraiment mis devant Netflix dans son canapé, un « gros joint de beuh » dans une main et, dans l’autre, un sandwich « escalope-Boursin », s’il avait su qu’il hébergeait des terroristes ? Certainement pas, veut-il convaincre.
Un « gros joint » et un sandwich « escalope-Boursin »
Pourtant, les écoutes téléphoniques montrent que Jawad s’est confié à plusieurs personnes – sa copine et un gérant de pizzeria – pour leur faire part de ses doutes. Surtout, son ADN, mélangé à d’autres, sera retrouvé par les enquêteurs sur un adhésif ayant servi à confectionner les explosifs… Lui n’en démord pas : c’est bien le matin de l’assaut du Raid qu’il a enfin percuté.
Jawad avait alors filé vers la rue du Corbillon, affirmant à des policiers qui tenaient un barrage que l’appartement des terroristes lui appartenait. Appelant sa mère au téléphone pour lui raconter, « par instinct ». Instinct qui le poussera quelques minutes plus tard devant les caméras de BFM TV à dire : « J’étais pas au courant que c’étaient des terroristes. […] On m’a demandé de rendre service, j’ai rendu service, Monsieur. »