Sœur jumelle de la loi El Khomri, la réforme du code du travail aurait logiquement pu déclencher, côté syndicats, un remake parfait du film de 2016 : à la CGT et à Force ouvrière, le rôle des «contestataires» menant la fronde dans la rue et dans les médias ; à la CFDT, celui du «réformateur» prêt à négocier avec le pouvoir. C’était sans compter la métamorphose du secrétaire général de FO, Jean-Claude Mailly, dont le ton conciliant des dernières semaines rebat les cartes. Ses déclarations tonitruantes contre la loi travail ne sont plus qu’un lointain souvenir. A l’époque, des «clignotants rouges» s’étaient allumés dès la publication de l’avant-projet de loi du texte, relate-t-il dans les Apprentis sorciers, l’invraisemblable histoire de la loi travail (Les liens qui libèrent, 2016), son récit des coulisses de la crise sociale. FO ne voulait pas entendre parler du plafonnement des indemnités prud’homales, de la refonte du licenciement économique et de l’introduction du référendum d’entreprise, jugeant le texte «inamendable». Aujourd’hui, la CGT a beau fustiger l’imminence d’une «loi travail XXL», FO opte pour un attentisme qui frôle la bienveillance. Au prix d’une volte-face : Mailly avait d’abord déclaré qu’il ne voyait pas «quelle organisation syndicale […] peut accepter que ça passe à la schlague avec des ordonnances»,avant de se résigner à une réforme au pas de charge. Le barème obligatoire imposé aux juges prud’homaux en cas de licenciement abusif a aussi perdu son statut de «ligne rouge» : FO pourra s’en satisfaire suivant les seuils retenus.
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Officiellement, cet adoucissement découle d’un satisfecit sur la méthode du gouvernement. Mailly ne tarit pas d’éloges sur la concertation engagée par le ministère du Travail pour sonder un à un les partenaires sociaux au cours de réunions bilatérales. L’exact contraire du gouvernement Valls, quand les syndicats avaient découvert dans la presse un premier jet déjà ficelé. FO assure même que la concertation porte ses fruits : selon le projet de loi d’habilitation examiné au Parlement, les accords de branche pourraient continuer à primer sur ceux d’entreprise dans quelques domaines, contrairement à ce que la confédération craignait. Mais si la méthode réjouit le syndicat, elle l’oblige aussi. FO s’interdit toute attaque tant que la rue de Grenelle lui ouvre ses portes et que la formulation du texte n’est pas connue. Autrement dit, jusqu’à la fin de l’été. Or «il reste quand même pas mal d’incertitudes, a reconnu Didier Porte, secrétaire confédéral de FO, mercredi devant la commission des affaires sociales de l’Assemblée. Aujourd’hui, il n’est pas encore possible de parler avec précision de tous les dispositifs». Est-ce à dire que le syndicat pourrait durcir le ton à l’automne ? «Mailly a beau donner des signes d’ouverture, si des choses sont inacceptables dans les ordonnances, il risque vite d’être dépassé par sa base», avance un responsable de la CGT. «Il affiche un peu plus d’optimisme sur le contenu des ordonnances que d’autres, mais au fond, en l’absence de texte, on spécule tous», commente un leader syndical.
Une autre raison explique la prudence inattendue de FO : les maigres fruits récoltés par le mouvement de 2016. D’autant que le syndicat s’était engagé à reculons dans un bras de fer électrique avec l’exécutif. «FO a combattu la loi El Khomri jusqu’au bout, mais contre sa volonté,expliquait récemment à Libération Raymond Soubie, ex-conseiller social de Sarkozy. Elle avait préparé des amendements sur les branches, avec l’accord du Premier ministre de l’époque, mais qui avaient été refusés par François Hollande, lequel ne voulait pas se mettre à dos la CFDT. FO avait donc, contre son gré, suivi la CGT dans la rue.»
«Suivisme»
Son rapprochement avec le syndicat ouvrier a depuis fait long feu. «Quand elle participe à de grands mouvements contestataires, FO donne l’impression d’être dans le suivisme de la CGT, qu’elle ne peut pourtant pas concurrencer en termes de force militante, analyse Guy Groux, directeur de recherches associé au Cevipof. Cela peut expliquer que sa direction veuille retrouver de l’autonomie et la maîtrise de son discours.»
Et ce, alors que le dernier mandat de Mailly à la tête de FO s’achève l’an prochain. «Peut-être souhaite-t-il laisser en héritage à FO une place beaucoup plus importante qu’aujourd’hui dans les négociations, avance le chercheur, en renouant avec la stratégie contractuelle qui était celle du syndicat avant l’ère Blondel», le secrétaire général de 1989 à 2004. Recentrer FO aurait le double effet de déstabiliser la CGT, de plus en plus isolée, et de contester à la CFDT son titre d’interlocuteur privilégié du pouvoir. Une stratégie que le gouvernement ne peut qu’encourager s’il veut limiter les risques d’un mouvement social d’ampleur en septembre.