Lutte contre la délinquance : le travail plutôt que la prison
Le travail d’intérêt général est au cœur de la réforme pénale. En quoi cette peine peut-elle faire baisser la récidive ? Explications et retours d’expérience.
Par Laurence Neuer
Réduire la récidive en développant des alternatives à l’incarcération, et notamment le travail d’intérêt général (TIG) : c’est l’objectif phare du projet de réforme pénale, qui ambitionne de « redonner du sens à la peine » et d’assurer son « exécution rapide dans une perspective de réinsertion et de lutte contre la radicalisation ».
La prison, qui a enregistré un nouveau record de surpopulation cet été, est pour nombre d’experts responsable de la trajectoire répétitive de nombreux condamnés. « Avec 59 % de récidive dans les 5 ans après la libération de prison, nous sommes confrontés à un constat d’échec », déplore l’avocate Julia Minkowski, coauteure du rapport sur le sens de la peine dont s’inspirent plusieurs propositions du projet.
« 75 % des détenus ont un niveau inférieur ou égal au CAP »
La promiscuité carcérale, le manque d’activité et les sorties « sèches » (sans accompagnement) entretiennent les personnes dans la spirale du crime. Pour travailler, rappelle la députée LREM Caroline Abadie, « il faut savoir faire quelque chose. Or, 75 % des détenus ont un niveau inférieur ou égal au CAP. » Un écueil que le TIG est censé corriger en faisant découvrir le monde du travail à des personnes qui en sont éloignées. D’où l’idée de revaloriser cette peine qui consiste, pour la personne jugée coupable d’un délit puni de 5 ans de prison, à payer sa dette à la société en travaillant bénévolement pour une collectivité ou un établissement public (travaux d’entretien dans une mairie, par exemple). « On leur explique les codes militaires, le respect des horaires, on les forme à l’exécution de leurs tâches, et s’ils le souhaitent, ils peuvent travailler en binôme avec un militaire », explique le capitaine Éric Moné, de la gendarmerie de Mérignac qui reçoit régulièrement des tigistes.
La plupart des TIG prononcés sont des « alternatives à l’incarcération », ce qui signifie que, si le condamné ne l’exécute pas, il est envoyé en prison pour la durée fixée par le tribunal. L’autre porte d’entrée du TIG, c’est l’aménagement de peine. Le juge de l’application des peines (JAP) peut décider de convertir une peine d’emprisonnement ferme inférieure ou égale à six mois en l’obligation d’accomplir un TIG (« sursis TIG »). Dans tous les cas, la mesure ne peut être prononcée qu’avec l’accord de la personne condamnée. Sa mise en œuvre est assurée par le Service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP) sous la responsabilité du JAP.
« Faire tomber des images mentales »
Sur le terrain, les acteurs chargés de faire exécuter cette peine dite « intelligente » la voient comme un tremplin vers la réinsertion : « Le TIG, qui était à l’origine conçu pour les primodélinquants, a fait ses preuves sur les réitérants, de plus en plus nombreux à en bénéficier. Le fait d’être en contact avec d’autres personnes que des délinquants accroît l’estime de soi », constate Chantal Fedelich, conseillère pénitentiaire d’insertion et de probation au sein du SPIP de la Gironde. Et ce qui est bénéfique pour les tigistes l’est, symétriquement, pour ceux qui les accueillent : « C’est la seule peine qui permette à la société civile d’être en contact avec la population pénale en assurant sa prise en charge. Cela permet de faire tomber des images mentales. »
Cette sanction est donc par essence vertueuse puisqu’elle déconstruit les préjugés à l’égard des personnes condamnées. « Le TIG est un outil de réconciliation entre le condamné et la société qui lui montre qu’elle ne l’écarte pas », approuve la magistrate Isabelle Rome. Et c’est justement l’acceptation par la collectivité de l’utilité sociale de cette peine qui permettra d’inscrire la personne dans un parcours de désistance, autrement dit de sortie de la délinquance, soulignent les auteurs d’un rapport remis en mars au Premier ministre. « On est en voie de désistance lorsqu’on commence à se définir autrement », explique Martine Herzog-Evans, professeur de droit et de criminologie à l’université de Reims.
L’expérience montre que le système fonctionne bien puisque 80 % des TIG sont exécutés, note le rapport (chiffres 2015). « Les seuls incidents qui surviennent sont les retards et les absences non justifiées, ce n’est jamais pour des violences ou des menaces de mort », confirme Chantal Fedelich. Les effets sur la récidive sont eux aussi encourageants : « Sur une période d’observation de cinq ans, le taux de récidive a été de 61 % pour les sortants de prison, contre 34 % pour les bénéficiaires d’un TIG », précisent les rapporteurs.
Freins institutionnels
Pourtant, les tribunaux ne prononcent cette peine qu’au compte-gouttes. Créé en 1983, le TIG ne représente en effet que 6 % du total des peines prononcées chaque année (soit quelque 36 000 mesures en 2016). « C’est l’un des taux les plus bas d’Europe », relève l’avocat Romain Dupeyré. En cause : le manque de structures d’accueil et la réticence des collectivités territoriales. « Les entités habilitées à recevoir des tigistes ne comprennent pas le secteur privé marchand et sont très limitées. Quant aux collectivités territoriales, elles émettent des craintes sur l’encadrement des tigistes et appréhendent le fait d’accueillir des personnes condamnées », explique Stéphane Jacquot, ex-secrétaire national LR, membre de La République en marche, auteur de Prison, le choix de la raison (éd. Economica).
Autre point faible du système existant : l’absence d’adéquation systématique entre la personnalité, le parcours de vie, la situation socioprofessionnelle du prévenu, le délit qui a donné lieu à condamnation et le poste proposé. Idéalement, « l’exécution de la peine sous forme de TIG doit être en lien avec l’infraction. Un chauffard condamné pour alcoolisme devrait exécuter un TIG dans un hôpital d’accidentés de la route, par exemple. Un trafiquant de stupéfiants devrait se mettre au service d’un centre de désintoxication », suggère Stéphane Jacquot. D’où la proposition des rapporteurs de dissocier le prononcé de culpabilité de celui de la peine et d’étendre aux majeurs le « dossier unique de personnalité », qui regroupe l’ensemble des informations dont dispose la justice sur la personne, réservé actuellement aux mineurs.
Un système « gagnant gagnant »
Pour sensibiliser les acteurs économiques concernés et faciliter l’accès des juges aux offres de TIG, une agence nationale des TIG devrait voir le jour. « Ce point d’entrée permettra de tisser des partenariats avec des acteurs économiques pour faciliter le développement du travail d’intérêt général. C’est même un outil “ressource” pour les professionnels qui aident les personnes détenues dans leurs projets de réinsertion, et ce, dès leur incarcération », assure Stéphane Jacquot.
L’agence recenserait ainsi les besoins des entreprises et les compétences des personnes condamnées, et procéderait à la mise en relation. Par exemple, une collectivité pourra faire appel à elle pour répondre à un besoin spécifique d’électricien ou de peintre en bâtiment. Un système « gagnant-gagnant » en quelque sorte, auquel souscrit le capitaine de gendarmerie Éric Moné : « Ces personnes assistent notre main-d’œuvre interne, facilitent le travail et nous les accompagnons en contrepartie dans leur parcours de réinsertion. » Et certains se découvrent une vocation : « Un tigiste a carrelé toute une terrasse de la caserne. C’était sa passion. Un autre s’est passionné pour le métier de gendarme. Certains ont ainsi manifesté le désir de s’engager dans une formation. »
Plateforme numérique
Pour fluidifier les échanges et avoir une visibilité sur l’exécution des TIG, l’agence nationale devrait s’appuyer sur une plateforme numérique chargée de faire le lien entre les acteurs concernés. « L’objectif d’une telle plateforme est de faciliter le recours aux TIG par la mise en adéquation des compétences des tigistes avec les postes disponibles, mais aussi de simplifier les démarches d’agrément des entreprises intéressées », explique Arthur Sauzé, élève avocat vainqueur du Hackaton Justice Lab destiné à élire la meilleure plateforme de dématérialisation des TIG. « Cet outil permettra également d’assurer le suivi quotidien du tigiste, puisque, bien souvent, les magistrats sont réticents à prononcer cette peine, car ils manquent de visibilité sur son exécution. » Concrètement, la plateforme indiquera aux magistrats en temps réel quelles sont les offres de travail disponibles. Elle aura aussi un rôle-clé dans le suivi de la peine. « Le référent désigné par l’entreprise pourra exercer un contrôle de l’activité au jour le jour, via un tableau de bord. Toute anomalie, par l’exemple l’absence du tigiste sur le lieu de travail, fera l’objet d’une alerte transmise en temps réel au juge et au SPIP », explique Arthur Sauzé.