Marlène Schiappa : « Nous voulons en finir avec la culture du viol »
Contravention contre le harcèlement de rue, prescription…, la secrétaire d’État à l’Égalité entre les femmes et les hommes défend son projet de loi. Entretien.
PAR MARYLOU MAGAL
Mardi 17 avril, Marlène Schiappa, secrétaire d’État à l’Égalité entre les femmes et les hommes, a présenté son projet de loi. Ce texte, devenu « la grande cause du quinquennat », vise à réduire les violences sexistes et sexuelles. Marlène Schiappa prévoit, entre autres, la création d’un délit d’« outrage sexiste » ou l’allongement du délai de prescription des crimes sur mineurs de vingt à trente ans. Entretien.
Le Point : Vous avez présenté, mardi, votre projet de loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes. Sans les mouvements #MeToo et #BalanceTonPorc, cette loi aurait-elle pu voir le jour ?
Marlène Schiappa : Oui, dans la mesure où le président de la République avait, bien avant #MeToo, annoncé que l’égalité femmes-hommes serait la grande cause de son quinquennat. Il a pris cette décision parce que l’opération de porte-à-porte, la grande marche, pour construire son programme a fait remonter les paroles de millions de femmes évoquant les violences sexistes ou sexuelles qu’elles avaient à subir. Cet engagement est tenu, il a lancé la grande cause du quinquennat le 25 novembre à l’Élysée en présence de centaines de personnalités engagées, d’associations qui n’avaient jamais mis les pieds à l’Élysée jusque-là. L’une d’elles m’a dit qu’elle était engagée depuis l’époque de François Mitterrand… C’est grâce à l’impulsion forte voulue par le président de la République, et avec le combat que je mène depuis des années sur ces questions, que cette loi a pu voir le jour. Mais, bien évidemment, #MeToo a mis un coup de projecteur important…
Vous avez pour habitude de travailler avec des associations et des start-up qui luttent contre ces violences. Cela a-t-il été le cas pour ce texte ?
Bien sûr. Nous avons mené un nombre d’auditions important, à un rythme soutenu. D’abord en bilatéral, puis en écoutant les victimes. Je reçois entre 200 et 300 lettres chaque jour dont beaucoup sont écrites par des victimes de violences sexuelles… J’avais également, pour construire le programme du président sur l’égalité femmes-hommes, auditionné de nombreuses associations, mais aussi des victimes et des professionnels, pour comprendre ce qui manquait dans nos textes de loi. Enfin, nous avons, avec le Premier ministre, commandé une mission pluridisciplinaire à des experts, puis interrogé les citoyennes et les citoyens directement via le Tour de France de l’égalité entre les femmes et les hommes : avec 55 000 participantes et participants, c’est la plus grande consultation gouvernementale jamais organisée. Enfin, nous avons travaillé avec la chancellerie, car Nicole Belloubet est aussi très engagée dans ce texte de loi et elle nous a aidés à trouver ensemble une rédaction constitutionnelle.
Le 1er article de votre projet de loi prévoit l’allongement du délai de prescription des crimes sur mineurs : il passe de vingt à trente ans. Pourquoi cette décision ?
Deux choses : d’abord, les phénomènes d’amnésie traumatique, qui font que des victimes ne se souviennent des viols subis enfants qu’à l’âge adulte. Ensuite, le fait que, pour une personne qui a vécu un viol, il y a un temps nécessaire pour se permettre de le judiciariser. J’entends que cela va parfois être difficile à prouver, mais c’est tout l’objet de l’enquête de faire en sorte de confronter témoignages, faisceaux concordants…
La question du harcèlement de rue est prise en main politiquement alors qu’elle était sous les radars jusque-là.
Laurence Rossignol, qui avait entamé un travail sur la question, a reproché à ce texte d’insister sur le discernement. Cela permet, selon elle, à la défense d’affirmer qu’un enfant de 11 ans peut être consentant en cas de relation sexuelle entre un majeur et un mineur. Que lui répondez-vous ?
De nombreux parlementaires ont entamé leur propre réflexion. Le débat aura lieu à l’Assemblée nationale comme au Sénat. Notre texte prévoit, au contraire, que le fait d’avoir moins de 15 ans puisse être constitutif de viol : c’est une meilleure protection pour les enfants !
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Une consultation citoyenne vous a permis de vous saisir d’une problématique nouvelle, dans l’article 3, celle des « raids numériques ». C’est-à-dire ?
L’idée est de pouvoir condamner les harcèlements dits en meute, via ce que nous avons appelé des « raids numériques » : lorsque 200 personnes se mettent à s’acharner sur une personne via Twitter, Facebook, des forums, des mails…, c’est extrêmement important. Cela n’était pas prévu dans les textes de loi jusque-là. Il faut marteler qu’Internet ne doit plus être une zone de non-droit !
La nouveauté de votre projet de loi, c’est aussi la création du délit d’« outrage sexiste », avec la verbalisation du harcèlement de rue. Pensez-vous que cela sera suffisant pour éradiquer cette pratique ?
Rien ne suffit en soi. Mais, enfin, la question du harcèlement de rue est prise en main politiquement alors qu’elle était sous les radars jusque-là. Quand j’avais 14-15 ans, nous élaborions des stratégies d’évitement avec mes sœurs ou amies pour nous prémunir du harcèlement de rue. Ma fille, qui est préadolescente, a les mêmes conversations avec ses amies… C’est intolérable de penser que l’on n’a pas évolué en une génération sur ce sujet, que personne ne l’a jamais pris en main ! Donc écrire dans les lois de la République qu’il est interdit de menacer, de suivre, d’intimider des femmes dans la rue est un pas primordial. Les 10 000 policiers de la sécurité du quotidien recrutés par le ministre Gérard Collomb permettront d’appliquer le texte, avec les formations et les outils numériques adéquats… J’observe que l’on n’a jamais autant parlé du harcèlement de rue que depuis que le gouvernement a indiqué vouloir l’interdire. Nous pourrons donc abaisser le seuil de tolérance de toute la société aux violences sexuelles. D’ailleurs, il existe un continuum de ces violences et mettre une barrière dès le harcèlement de rue, c’est, in fine, également protéger les victimes de viols.
Vous indiquez aussi que de nombreux plans préventifs accompagneront cette loi. De quoi s’agit-il ?
Plusieurs plans ont été organisés par le gouvernement : un plan contre les violences sexistes et le harcèlement sexuel dans la fonction publique, impulsé par Olivier Dussopt et moi-même, qui prévoit des circuits d’alerte et des sanctions disciplinaires ; un plan contre les violences sexuelles dans l’enseignement supérieur et la recherche, que nous avons lancé avec Frédérique Vidal ; et, avec Jean-Michel Blanquer, nous travaillons sur l’éducation et la prévention avec, notamment, sa circulaire aux recteurs.
Par ailleurs, le président a annoncé une grande stratégie avec des objectifs très ambitieux de formation des professionnels, de création d’unités de soins psycho-trauma pour les victimes ou d’une plateforme de discussions avec des policiers en ligne pour mieux préparer les plaintes… Le Premier ministre a également décidé de dégager 4 millions d’euros supplémentaires pour lancer une campagne de prévention et d’attribuer le label « grande cause nationale » à la Fédération nationale solidarité femmes (FNSF), qui regroupe des associations de protection des femmes et gère le numéro d’appel du 3919. À terme, nous voulons en finir avec la culture du viol, qui minimise, relative ou excuse trop souvent les violences sexuelles ou en fait porter la responsabilité à la victime. Le coupable est toujours l’agresseur, jamais la victime.