La cellule de citoyenneté de la Ville en lutte contre l’absentéisme et les incivilités s’est réunie en milieu de semaine
Ses joues ont adopté la couleur de doigts recevant une volée de coups de règles. Teint rouge et voix bredouillante, l’homme se courbe sur sa chaise. Père de deux adolescentes de 13 et 15 ans, Victor (1) n’en mène pas large face aux admonestations de la « cellule de citoyenneté et de tranquillité publique ». Un tribunal de la dernière chance (lire encadré) composé d’un représentant du parquet, de l’éducation nationale, de la police municipale, de la sécurité publique et de l’élue à la sécurité, Caroline Pozmentier (LR). Plusieurs fois par an, cette « cour » traduit des parents d’enfants signalés pour un absentéisme inquiétant. Ou encore, les auteurs de dégradation de l’espace public… Quinquagénaire en invalidité, Victor est dans le premier cas. Ce jeudi après-midi, dans la salle des mariages de l’hôtel de Ville, il doit répondre de la déscolarisation de ses filles d’un collège du 9e. « 85 jours d’absence pour l’une et 66jours pour l’autre… Si on enlève les vacances, elles ne sont jamais allées en cours », gronde Bernard Legaignoux, représentant du procureur. « Elles font une phobie scolaire ? », ironise-t-il. « Voilà, c’est ça, saisit naïvement le père. Y en a une qui fait une phobie de l’école et l’autre ne veut plus y aller parce qu’on veut la frapper. »
« Des filles qui ne vont plus au collège, grince à son tour Caroline Pozmentier, je ne vais pas vous faire un dessin, ce sont des proies… D’ailleurs, aujourd’hui, elles ne sont pas venues devant nous. Où sont-elles ? »Dialogue du tac au tac : « Elles n’ont pas voulu venir. Elles sont tétanisées », répond le père. « Ah bon, elles sont beaucoup tétanisées ces petites ! On a un problème, Monsieur… Il faut que des solutions soient apportées. »
« La première sanction est de 750 euros »
« Je vous mets en garde solennellement, hausse le ton le parquet, dès demain matin, il faut qu’elle réintègre le milieu scolaire. Vous ne pouvez pas les garder tout le temps chez vous. C’est de votre responsabilité et de celle de votre épouse. Sinon, on va rentrer dans une phase judiciaire. La première sanction est de 750 euros. » À ces mots, le père de famille bafouille : « Elles vont y retourner à la rentrée. Je m’y engage. Je tiens toujours mes promesses. »Un retour programmé sur le chemin de l’école qui sera suivi « très attentivement », promet Nathalie Legaignoux, inspectrice de l’éducation nationale. Affaire suivante…
Un ado de 14 ans au teint blafard entre dans la pièce, entouré de son père et sa mère, aussi dépités l’un de l’autre. « On n’a plus le contrôle sur lui. Il ne veut plus aller en cours », gémit le père du jeune homme maigrichon. Depuis des mois, il préfère traîner avec des potes et esquiver sa 5e. « Je n’arrive plus à suivre », murmure-t-il. « Tu veux faire quoi dans la vie ? », demande Caroline Pozmentier. « Policier, pour aider les autres », répond l’ado. L’assistante sursaute. « On ne rentre pas comme ça dans la police. Il faut faire des études ! », secoue la tête Frédéric Vidal, pour la DDSP.
Après une heure de débat avec des parents dépassés et un gamin en souffrance, qui a même menacé à plusieurs reprises de se suicider si son père se montrait « trop strict », la cellule prend l’option carotte : « Tu vas retourner à l’école à la rentrée, et ensuite, tu viendras faire une journée de découverte du métier de policier », annonce le tribunal. « On dirait une émission de Pascal le grand frère… », ironise un témoin de la scène.
Au tour d’un jeune homme longiligne de pénétrer dans la salle des mariages. « Vous êtes étudiant à l’École centrale de Marseille et vous êtes là pour avoir dégradé, un samedi, à 2h15 un panneau de signalisation du tramway… C’était une belle fête ? », interroge l’élue, en étouffant difficilement un petit rire. « C’était une crémaillère », baisse les yeux le futur ingénieur. Il en sera quitte pour 10 jours de travail non rémunéré. Sans se plaindre.
Une cellule active
Mise en place en 2014 par la Ville, cette cellule pourrait s’apparenter à un tribunal de la dernière chance, avant la case justice. Depuis la loi de 2007, les communes de plus de 10 000 habitants peuvent examiner, sous le sceau du secret, des situations individuelles qui relèvent de l’infra-pénal et ne font pas encore l’objet de procédures judiciaires. La cellule est majoritairement chargée de lutter contre la déscolarisation mais reçoit aussi des cas de troubles à l’ordre public, des incivilités, des dégradations… « Nous ne sommes pas une instance judiciaire, rappelle Caroline Pozmentier (LR), adjointe en charge de la sécurité, mais nous pouvons faire des rappels à la loi pour l’absentéisme, sous l’égide du procureur de la République. Et dans le cas de dégradations, prononcer des heures de travail non rémunérées dans les collectivités. » Entre 2014 et 2016, près de 500 dossiers ont été examinés. « Nous espérons en traiter 300 cette année et idéalement arriver à un rythme de 500 à 700 par an », indique l’élue. Selon le parquet, après un passage, aucune récidive n’est constatée dans « 85 % des cas ».
Laurent d’Ancona