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Mes ambitions pour l’armée de Terre : AUDITION du général Jean-Pierre Bosser, chef d’état-major de l’armée de Terre.

Posted On 27 Oct 2017
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(…) Une fois ces premiers jalons posés (revue stratégique note de l’ASAF), la loi de programmation militaire (LPM) viendra s’inscrire à la fois dans le temps court, le temps moyen et le temps long. Sans entrer dans le détail des travaux d’élaboration qui viennent de débuter, je voudrais vous dire que je souhaiterais la voir porter des ambitions de réparation, de recapitalisation et de modernisation, articulées par le chef d’état-major des armées.

  • L’ambition de réparation

Elle vise à pallier des déficiences majeures, tout en préservant des programmes majeurs comme Scorpion étape 1, l’arrivée du missile de moyenne portée, le remplacement du FAMAS ou le modèle « Au contact ».
Par exemple, aujourd’hui, l’armée de terre ne peut pas se déplacer de manière autonome sur le territoire national : elle manque de véhicules légers. L’entretien des vieux parcs nous coûte cher alors que sont disponibles, même sur étagère, des matériels de qualité qui nous permettraient de remédier aux insuffisances en matière de mobilité terrestre.

De même, nous sommes en train d’user nos canons CAESAr de façon accélérée dans le cadre de l’opération Chammal, au Levant. Il faudra les remplacer, de même qu’il faudra remplacer les radars nécessaires à la coordination dans la troisième dimension et à la défense sol-air (GM 60). Je n’entrerai pas dans les détails mais le transport logistique est aussi concerné. Nous devrons remplacer notre camion GBC 180, qui atteint quarante ans d’âge. Nous manquons aussi de moyens de franchissement. À l’est, nous pouvons être engagés sur des portions de terrain où il y a une coupure humide tous les dix kilomètres. À ce jour, il ne doit rester que cinq cents mètres de ponts, qui doivent en outre être modernisés.

  • L’ambition de recapitalisation

Elle vise à restaurer un modèle qui a été sous-doté. C’est donc du fonctionnement courant, du maintien en condition opérationnelle des matériels terrestres (MCO-T), de l’activité, de l’infrastructure. C’est réinvestir dans les dispositifs avancés, outre-mer et à l’étranger. C’est veiller au niveau des taux d’encadrement. Et cela intègre aussi la condition militaire. En fait, pour résumer, c’est bien vivre son métier – ne pas être obligé de courir parce qu’il manque des paires de chaussures, des casques, des connexions « Félin » (Fantassin à équipements et liaisons intégrés), des gilets de protection – et bien vivre de son métier.

  • La modernisation,

C’est tout le chantier Scorpion, mais c’est aussi la recherche et le développement, l’innovation, la transformation numérique, la cybersécurité… Au fond c’est intégrer le XXIe siècle. Cela inclut d’ailleurs les procédures d’acquisition des équipements, dont vous parlera peut-être le délégué général pour l’armement, car nous devons être assez agiles pour accompagner l’accélération des progrès technologiques et éviter tout décrochage.

 

Pour conclure cette présentation, je voudrais vous parler des travaux que j’ai demandés à mon état-major en cette rentrée.

Le président de la République nous a fixé une ambition et nous donne des moyens. Il a souhaité que nous soyons la première armée européenne. Aujourd’hui, l’armée de terre française est sans doute la première en Europe, mais comment va-t-elle faire pour le rester ? Quels sont les critères qui nous permettront de dire au président le chemin que nous traçons pour qu’elle le reste ? Je fais actuellement travailler de nombreuses personnes sur cette question, y compris des généraux en deuxième section.

Voici quelques pistes qui nous paraissent intéressantes et s’inscriront sans doute dans les jalons de la revue stratégique.

Le premier critère est sans doute la détention d’un modèle d’armée complet ou presque complet, qui permette d’intervenir dans le haut comme dans le bas du spectre, seuls ou non, d’entrer en premier et d’affronter tout type d’ennemi. Je parle de modèle « presque complet » parce que nous pouvons trouver certaines capacités chez nos amis allemands ou – pourquoi pas ? – italiens ou espagnols.

Le deuxième critère me paraît être la masse. À partir de quels effectifs sommes-nous capables de gérer simultanément plusieurs théâtres, de durer et de régénérer nos hommes, nos munitions, nos équipements ? Aujourd’hui, notre force opérationnelle terrestre et son environnement opérationnel représentent 100 000 hommes, sans compter les soutiens. Cela me paraît le seuil en dessous duquel la masse serait insuffisante.

Le troisième critère, que je n’avais pas identifié au départ, est le niveau d’aguerrissement. Il s’agit d’avoir dans l’armée de terre des soldats capables de gagner les combats les plus durs, dans des milieux humains et physiques complexes – de la haute montagne au milieu nautique. Il s’agit également d’avoir une capacité à durer, à supporter des pertes et à accepter, s’il le faut, de payer le prix du sang. Lorsque nous parlons de mutualisation avec nos camarades étrangers, nous avons toujours de bonnes idées, mais lorsque nous en arrivons à l’engagement opérationnel et à imaginer la possibilité de perdre des soldats au combat, la collaboration est plus délicate. Nous pouvons former en commun nos munitionnaires, nos spécialistes d’explosifs, nos pilotes d’hélicoptères, mais cela devient compliqué lorsqu’il s’agit de s’engager ensemble pour prendre des risques majeurs.

Un quatrième critère est la possession d’équipements de quatrième génération, qui permettent de pratiquer un combat interarmes réellement « infovalorisé », c’est-à-dire qui tire tous les bénéfices de la révolution numérique. Une armée de quatrième génération allie la rusticité et la haute technologie.

Un cinquième critère est la capacité à créer et à soutenir des coopérations, dans le cadre d’alliances classiques comme l’OTAN ou d’alliances ad hoc ou de circonstance, avec un pays africain ou un pays européen.


Tous ces critères reposent sur un cadre robuste, constitué d’une spécificité militaire et d’une condition du personnel stabilisées, reconnues et acceptées. La spécificité militaire est essentielle pour parer au risque de banalisation du métier des armes.

Il faut bien mettre en cohérence notre ambition militaire et le cadre administratif et juridique dans lequel nous vivons et préparons nos engagements. Vous le savez, je porte un regard particulier sur la directive européenne sur le temps de travail, et je pourrai, fort de l’éclairage de mes homologues étrangers qui ont eu à mettre en œuvre cette directive, répondre à vos questions sur ce point. Quant à la condition du personnel, je l’ai déjà évoquée.

Je vais maintenant conclure. Nous entrons avec ce projet de loi de finances pour 2018 dans une dynamique de remontée en puissance et une forme d’optimisme non pas béat mais nouveau. Il faut que la prochaine loi de programmation militaire donne à cette nouvelle dynamique de la profondeur et du champ.

Avant d’aller plus loin, j’ai la conviction qu’il faudra passer par un premier temps au cours duquel nous rapprocherons les moyens des ambitions. Ce n’est pas du tout anormal : cela fait quinze ou vingt ans que l’on se plaint du fait que les moyens s’éloignent des ambitions. Il faudra donc un petit moment pour qu’ils s’en rapprochent avant de constater des effets totalement nouveaux.
Rapprochons donc les moyens des ambitions, et nous répondrons déjà à l’une des préoccupations majeures de l’institution, qui doit apparaître dans les comptes rendus des auditions de mes prédécesseurs depuis plus de vingt ans.

 

Général Jean-Pierre BOSSER
Chef d’état-major de l’armée de Terre
Extrait de l’audition devant la Commission de la Défense
de l’Assemblée nationale
11 octobre 2017

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