Agressions, vols et cambriolages en série commis par des mineurs étrangers : le phénomène semblait jusqu’alors limité à Rennes et Nantes. Notre enquête démontre que celui-ci s’amplifie et frappe de plus en plus de villes. Elle révèle aussi l’inquiétante absence de prise de conscience et de réaction de l’État.
À l’annonce de leur âge, les policiers brestois ont dû s’étrangler. Face à eux, dans la nuit du samedi 2 au dimanche 3 septembre, trois jeunes auteurs présumés d’une violente tentative de vol. Il est 3 h du matin. La scène se déroule dans la principale artère commerçante de la ville, rue Jean-Jaurès. Quatre étudiants viennent d’être roués de coups par trois gamins âgés de 17… 10 et 9 ans ! Trois mineurs étrangers. Compte tenu de leur âge, les deux plus jeunes sont laissés libres et remis à des éducateurs. Le troisième est convoqué devant un juge pour enfants. Deux jours plus tard, il sera à nouveau interpellé, pour la troisième fois en quelques jours, pour un autre délit.
Stups, agressions et vols
Ces épisodes, hormis le très jeune âge annoncé par deux des trois auteurs présumés, ne cessent de se produire depuis plusieurs mois. À Nantes, Rennes et Brest. « La journée, ils font du deal de rue mais ils commettent aussi des vols à l’étalage et des cambriolages. La nuit, on les retrouve beaucoup sur des vols avec violence. Ils s’en prennent à des proies faciles, en ciblant les personnes isolées et/ou alcoolisées », rapporte Patrick Chaudet, directeur départemental de la sécurité publique (DDSP) d’Ille-et-Vilaine. Tous les policiers interrogés dans les trois métropoles rapportent les mêmes faits, « qui augmentent et se répètent sans cesse ». Tous ont le sentiment de « vider l’océan à la petite cuiller », et disent leur exaspération. « On interpelle et on arrête les mêmes auteurs dans la rue, quelques jours plus tard », dénonce le syndicat de police Alliance. « C’est une bombe à fragmentation », résume un responsable policier nantais.
Diffusion à Nantes, Brest, Quimper…
« Le problème est très complexe, avertit Patrick Chaudet, le DDSP 35. Nous sommes touchés par des mineurs ou des faux mineurs qui entendent profiter de l’excuse de minorité et qui savent qu’ils ne peuvent pas être expulsés. Il y en a certains pour qui nous parvenons à prouver la majorité mais cela prend du temps et reste difficile à établir. Ces individus nient systématiquement les faits, ne parlent pas et refusent tout examen ».
À Rennes, le procureur Nicolas Jacquet rejette tout laxisme et met en avant la création d’un groupe local de traitement de la délinquance dédié, en 2016, associé « à une politique pénale offensive ». Malgré cette réponse sévère (lire ci-contre), exceptionnelle pour la justice spécifique des mineurs (les mesures éducatives sont toujours privilégiées, conformément à la loi), le phénomène ne s’est pas résorbé. « On l’a cru il y a un an. Beaucoup sont partis. Mais d’autres ont pris leur place. On constate même qu’ils sont plus jeunes et plus violents », confesse le procureur rennais. Des interdictions de séjour ont été prononcées. « Cela a peut-être renforcé la diffusion du phénomène dans d’autres villes, notamment à Nantes et Brest », observe un officier de police. La trace de certains a été repérée à Saint-Brieuc, Quimper, Caen, Angers, Bordeaux… « Ils sont très mobiles et réactifs, commente un autre policier. Pendant l’été 2016, on les a retrouvés sur les plages de Saint-Malo (35), où ils volaient les sacs des baigneurs ».
Les inquiétants résultats d’une enquête
Le phénomène est-il plus étendu ? Quel est le profil de ces jeunes étrangers ? Des réseaux sont-ils à l’oeuvre ? Une enquête, initiée par le procureur de la République de Rennes, a bien été lancée en 2015. Ses résultats, que seule la direction départementale de la sécurité publique d’Ille-et-Vilaine a accepté de nous communiquer, auraient pourtant dû alerter à plus haut niveau. Fin décembre 2015, plus de 600 mineurs étrangers « posaient problème » dans le Grand Ouest. « Le phénomène est en augmentation à Rennes et Nantes, note Patrick Chaudet, le DDSP 35. Nous allons refaire un recensement ».
Alors que l’enquête lancée en Ille-et-Vilaine n’a « pas établi l’existence d’un réseau criminel », à Nantes, la responsable du service mineurs du parquet, la vice-procureure Véronique Surel se dit persuadée du contraire. « Nous n’avons pas pu le prouver jusqu’à présent mais de nombreux indices vont pourtant dans ce sens. Ces enfants sont exploités, sommés de ramener de l’argent. Certains sont drogués, prostitués et violentés ». Ce sentiment qu’un réseau criminel est à l’oeuvre, partagé par le patron de la police bretillienne, change toute la donne. « Ces mineurs se retrouvent victimes et auteurs. Pour le moment, faute de moyens et d’informations, nous en sommes réduits à ne traiter que le premier volet… », se désole Véronique Surel, qui estime aussi que « la réponse ne peut pas être que judiciaire ».