Monsieur le Ministre Gérard Collomb
Monsieur le Ministre, Le Président Macron, nouvellement élu, ainsi que son Premier Ministre, Monsieur Edouard Philippe, vous ont confié la lourde tâche de diriger l’action du Ministère de l’Intérieur. « Premier flic de France » étant l’expression consacrée par tous. Enfin, par tous les journalistes. Flic vous n’êtes pas, et flic, vous ne serez pas. Et cela n’est pas vous faire offense que de vous le dire. Parce que, aussi clairement que cela, ce n’est pas ce que l’on vous demande. Ni le Chef de l’État, ni les quelque 200.000 personnels désormais placés sous votre autorité. Non, ce qu’il vous est demandé, c’est de trouver la nécessaire cohérence entre l’action des forces de sécurité, et les attentes des citoyens français voir, plus largement, de tout un chacun, se trouvant sur le sol français.
L’action des forces de sécurité
Vous avez possiblement déjà pu mesurer cette attente lorsque vous étiez le premier édile de Lyon, troisième ville française par le nombre de ses habitants. Peut-être aussi avez-vous déjà eu l’occasion d’observer quelque difficulté, alors que votre propre fils faisait partie de nos rangs, un temps durant. Peut-être même y a-t-il déjà à s’interroger sur le fait qu’il a préféré se mettre en disponibilité de l’administration! Alors, j’imagine que vous avez su l’entendre de façon différent, complémentaire à celle de l’homme politique. Aussi, cette action s’en trouvera pour le moins, à la fois protéiforme par sa nature mais également complexe par la manière qui sera la vôtre d’appréhender à la fois vos décisions et votre communication. Peut-être cela peut-il surprendre, que de parler de communication, et de la placer, ici, sur la même ligne que les décisions à venir. Et pourtant, on le perçoit chaque jour, une mauvaise communication peut avoir des conséquences que l’on n’imagine pas à l’orée d’un discours, ou quelques phrases adressées à des journalistes parfois juste en manque de sensationnalisme, lorsqu’il s’agit de surfer sur la vague d’un fait divers. Prendre de la hauteur, cette fonction vous le demandera. Un travail protéiforme, parce qu’il vous faudra à la fois lutter contre le terrorisme international qui sévit sur notre sol, mais aussi combattre la délinquance du quotidien. Celle-là même qui pourrie la vie. Lors de votre discours de prise de fonction, vous avez déclaré, je cite « la tranquillité, première des libertés publiques ». Je ne peux que vous rejoindre sur ce point, tant il est vrai que, sans tranquillité, sans sécurité, ce qui reste n’a pas lieu d’être. Vous avez également parlé de zones de non droit. L’attente est forte de ce point de vue, tant un grand nombre de policiers a cette sensation d’être « empêché » de travailler dans certains secteurs, par crainte de débordements. Aussi, à titre d’exemple, quelle réaction devraient avoir les policiers lorsque les habitants d’un quartier les appellent, se plaignant des désagréments causés par un deux roues, ce dernier refusant le contrôle et prenant la fuite? Il n’est pas rare, aujourd’hui, que la poursuite soit interdite. Mais alors??? que faire? comment lutter contre ces nuisances, puisque, quelque part, on les incite à se poursuivre par l’inaction… ? La police a, me semble-t-il, besoin, à sa tête, d’un homme qui a une vision bien plus lointaine que la simple gestion des événements. Comment sera la police en 2030? De quelle manière fonctionnera la coproduction de sécurité, aux cotés de la Gendarmerie Nationale, placée sous votre autorité, mais aussi des forces de police municipale ou même des entreprises privées de sécurité? De quelle manière ces 110.000 policiers actifs doivent-ils se mouvoir? Vous l’avez vu à l’automne 2016, les attentes des policiers sont énormes. De fait, votre mission l’est tout autant. Besoins humains, matériels, besoins de considération, quand bien-même cela peut apparaître, aux yeux de certain, dénué de sens.Et pourtant, il est absolument nécessaire, pour un policier qui risque sa santé, sa vie, mais aussi, dans une certaine mesure, sacrifie sa vie de famille, que de mesurer le sens de ce qu’il fait. Cela peut s’évaluer par le biais de cette considération, mais aussi dans le travail complémentaire qui est celui de la justice. Vous avez souligné vous-même, la « nécessité impérieuse d’une coopération fructueuse » avec la Justice. C’est une réalité. Il me semble qu’à travers cela, policiers et magistrats doivent se parler, apprendre à se connaitre. Et lorsque je dis cela, il n’est pas seulement question des autorités, entre elles. Mais des pratiquants du quotidien. Aussi, les policiers devraient se rendre dans un Tribunal, afin de pouvoir mesurer les difficultés rencontrées par ces professionnels. De la même manière (cela se fait déjà un peu) les magistrats devraient venir régulièrement dans certains services de police. Même si, j’en ai pleinement conscience, tout le monde est déjà débordé par sa propre activité. Mais ce temps doit être pris, tant il est indispensable à la bonne marche de nos institutions respectives et, de fait, à ce qu’on appelle « le service pubilc » dans ses fonctions régaliennes.
Les attentes citoyennes
Si les policiers que nous sommes ont beaucoup d’attente, il en va de même avec l’attente qui est celle des concitoyens à notre égard. Par définition, nous nous devons d’être exemplaires. Plus les tâches confiées sont importantes, et parfois attentatoires, par définition aux libertés (néanmoins nécessaires au regard des objectifs poursuivis), plus nous devons montrer que la confiance placée en nous est, non seulement nécessaire, mais également juste et méritée. Aussi, les objectifs poursuivis par les forces de police doivent être clairs et sans ambiguïté dans le fonctionnement général des services. Mais il faut aussi revenir à une forme de décentralisation, d’autonomie des services, plus à même de connaitre les spécificités de leur mission au regard des administrés dont ils ont en charge l’ordre et la sécurité. Peut-être cela doit-il passer par le retour d’une police de proximité, ou toute autre appellation que vous jugerez adéquate, produisant les mêmes effets. Mais cela devra se faire à plusieurs conditions. Avant tout, que cette nouvelle « police » s’inscrive dans un objectif de complémentarité à ce qui existe déjà, et je pense là au judiciaire, bien souvent le parent pauvre de la police, tant il représente « peu » aux oreilles de nos dirigeants. Ensuite, si des nouveaux services doivent voir le jour, cela ne doit pas se faire au détriment de ce qui existe déjà, mais en plus. Pour « habiller Jacques », l’on ne doit plus « déshabiller Pierre », triste habitude qui perdure depuis bien trop longtemps dans la Police Nationale, dont il est utile de rappeler qu’elle est l’administration la plus réformée.. Cette nécessité d’augmentation des moyens vaut pour les hommes comme pour leurs matériels. Par ailleurs, et surtout, les objectifs visés par la mise en place d’une structure de proximité ne porteront leurs fruits, probablement qu’à un horizon qui dépassera le temps de vos fonctions. Il vous faudra alors avoir confiance en votre programme, sans chercher à en tirer des fruits électoralistes. Je me doute que c’est, par nature pour un homme politique, complexe à concevoir, mais la patience, qui dans la police est une vertu, est absolument nécessaire. De toutes les façons, ce temps sera également indispensable, sur le terrain. Il m’apparaît bien complexe, aujourd’hui, d’installer dans certains quartiers, des policiers de proximité, tant les tensions, et le rejet sont, non seulement palpables, mais le quotidien des effectifs qui se font insulter (au mieux), voir caillasser, si ce n’est, hélas, bien plus encore. Il n’y a qu’à voir, pour ce faire, les réactions provoquées par la mise en place de simples caméras pour comprendre que la sécurité, en certains lieux, n’est pas la bienvenue.
Votre tâche est immense, monsieur le Ministre. Pourtant, si vous réussissez, le mérite n’en sera que plus grand, et tout à votre honneur. J’ai ce rêve que vous sachiez vous entourer, et vous ouvrir au possible, aux propositions, que vous sortiez des sentiers battus de l’impossible. Que vous osiez.